Saint Salomon de Bretagne

La vie de  saint Salomon de Bretagne (810/820 – † 874) ressemble à un récit biblique. Régicide pour devenir roi, il accomplit, par concupiscence du pouvoir, l’un des actes les plus odieux qu’un chrétien puisse fomenter. Non seulement il trahit et assassine son cousin, le roi Érispöé, en lui enfilant son épée au travers du corps; mais, par surcroit, commet ce crime dans une chapelle, devant le Tabernacle, devant Le Saint des saints !

Tout au long de son règne de 857 jusqu’à sa mort en 874, le poids de la culpabilité l’alourdira et l’incitera à chercher le pardon pour l’offense faite à Dieu, dans un service exemplaire rendu au peuple breton et à l’église catholique.

Finalement, il sera assassiné dans une église. J’aime à croire que c’est La Miséricorde Divine qui agissait ainsi afin d’aider Saint Salomon à racheter ses péchés. Il fut canonisé par le pape Anastase III en l’an de grâce 910.

« Alors Jésus lui dit : “Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée.” » (Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 26, 52).

La vie de Saint Salomon

Selon l'hagiographe Albert Le Grand dans "La vie des saints de la Bretagne-Armorique". Traduit en français contemporain par Arnaud Chapin

Au temps où la Bretagne gémissait sous le joug et la servitude des Empereurs Charlemagne et Louis le Débonnaire, son fils, il y avait dans ce pays deux princes, frères, de la lignée des anciens rois bretons : l’aîné s’appelait Rivallon, père de notre saint Salomon ; le cadet, Nominöé. Rivallon mourut en 817, alors que le pays était encore sous l’oppression de Louis, laissant Salomon, son fils âgé de 9 à 10 ans, sous la tutelle de son oncle Nominöé, qui l’éleva dans sa maison avec autant de soin que s’il avait été son propre fils. L’empereur Louis ayant été déposé de l’Empire en 839, Nominöé, qui était son lieutenant général en Bretagne, répondant à la demande pressante des États du pays, rejeta le joug étranger, se fit proclamer et couronner roi de Bretagne, annula tous les actes que les empereurs y avaient accomplis, chassa les garnisons françaises et assura la stabilité de son royaume. Charles le Chauve, roi de France, à qui était échue cette partie de la France située entre la Meuse et la mer, par un accord passé entre lui et ses deux frères Lothaire et Louis, se prépare et, en 844, marche contre le roi Nominöé pour récupérer ce qu’il prétendait lui avoir été enlevé. Le roi Nominöé va à sa rencontre, ayant dans son armée notre Salomon en qualité de lieutenant général, lui livre bataille entre Le Mans et Chartres, le défait et tue un grand nombre de ses hommes ; Salomon poursuit Charles, qui s’enfuit à Chartres, mais si près que l’on aurait pu le voir se mêler aux fuyards. Depuis lors, il porte toujours les armes et assiste le roi, son oncle, dans toutes ses guerres et conquêtes.

Régicide devant Dieu.

Ce jeune prince se promettait bien, après le décès de son oncle, d’être son successeur au royaume, représentant l’aîné des deux frères, sans considérer que le roi son oncle avait conquis le royaume, et l’avait pris de force aux mains des étrangers, et non pas qu’il lui était échu par succession héréditaire. Mais lorsque le roi est mort en 862, il s’est vu évincé par le couronnement de son cousin le prince Érispöé, fils du défunt, que tous les États ont accepté et proclamé roi. Salomon a été extrêmement offensé par cet affront (comme il le concevait), et oubliant toute la bonne réception qu’il avait reçue dans la maison de son défunt oncle, ainsi que les courtoisies qu’il en avait reçues, il s’est associé à des gens débauchés et pervers avec lesquels il a conspiré pour tuer le roi son cousin, faisant des manœuvres clandestines et des intrigues pour agir plus secrètement. Il a dissimulé cette haine très habilement pendant quatre ans, vivant à la cour du roi son cousin sans aucun soupçon ni méfiance, occupant les postes les plus honorables du royaume. Mais lorsque la reine Marmohec a donné naissance à un beau prince à la fin de l’année 865, Salomon, voyant la couronne assurée dans la maison de son cousin, s’est dépêché de passer à l’action. Il a rassemblé ses hommes, les a armés, et un jour où le roi se rendait à la messe, suivi seulement de ses gardes et domestiques, il l’a attaqué en criant “à mort, à mort le tyran !”. Le roi, tout effrayé, s’est réfugié dans l’église, où Salomon, bouillant de colère, l’a poursuivi, épée à la main, et l’ayant trouvé réfugié au pied de l’autel, sans respect pour Dieu, le lieu saint ou la majesté royale, il l’a tué au début de l’année 866. Immédiatement, Salomon s’est emparé du palais et des personnes de la reine et du petit prince son fils, et ayant convoqué les États du pays, il s’est fait couronner roi de Bretagne.

La Bretagne au temps des rois

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Saint Salomon, roi d'une Bretagne très riche et étendue

Pourtant, d’un commencement si mauvais, il advint une fin toute contraire, contre l’opinion de tout le monde. Dès qu’il eut pris le diadème et fut proclamé roi, ce ne fut plus lui, il fut changé en un autre homme. Il devint extrêmement dévot et religieux, affectionné et respectueux envers l’Église, rigoureux dans la dispensation de la justice, bon envers son peuple, aimé et chéri de tous ses sujets. Le roi de France, Charles le Chauve, informé de ce changement, se présenta armé à la frontière; mais, ayant appris que l’armée de Bretagne venait à sa rencontre, il se retira. Le roi Nominöé avait banni de leurs sièges Actard, évêque de Nantes, Suzan, évêque de Vannes, Felix, évêque de Cornouaille, Liberal, évêque de Léon, et Salaçon, évêque d’Aleth, pour avoir été accusés et convaincus de simonie (comme nous l’avons mentionné dans la vie de Saint Convoyon). Le roi Érispöé, son fils, n’en rappela aucun, sauf Actard, évêque de Nantes, car cela avait été convenu entre lui et Charles le Chauve, qui, à cette condition, accepta de ne plus revendiquer le comté nantais. Actard, homme turbulent, séditieux et mal disposé d’esprit, sollicitait de toutes les manières possibles le rappel des autres ; le roi réexamina leurs procès et rappela les moins coupables, ce qui fâcha Actard. Il quitta Nantes sans la permission du roi et se retira à Tours, auprès de l’archevêque Herard, qui était également concerné en raison de la diminution de ses suffragants en Bretagne au profit de l’archevêque de Dol. Tous deux, avec l’aide du roi de France, rassemblèrent un concile auquel assistèrent le primat de Lyon, les archevêques de Bordeaux, de Reims, de Tours, de Rouen, de Sens, de Mayence et de nombreux autres prélats. Pendant ce temps, le roi, informé de la fuite d’Actard en France, saisit, par ses officiers, les biens temporels de l’évêché de Nantes.

Parmi ses pouvoirs régaliens, le roi Salomon de Bretagne obtient le droit d’émettre des monnaies d’or et d’argent. C’est de cette période que datent les premières monnaies bretonnes. Il s’agit d’imitations, c’est-à-dire qu’elles sont au type et à la titulature de Charles le Chauve, mais frappées sous autorité bretonne.

Le résultat de cette assemblée, après une discussion approfondie des questions, fut que le concile écrivit une lettre au pape Nicolas Ier, se plaignant du fait que le roi Nominöé, de sa propre autorité, avait retiré les évêques de son royaume de la juridiction de l’archevêque de Tours et les avait soumis à celui de Dol, et que le roi Salomon les maintenait ainsi. Deuxièmement, il tenait les autres évêques bannis de leurs sièges, sans vouloir les rappeler, malgré les instances qui lui avaient été faites. Le saint Père écrivit très amicalement au roi saint Salomon, l’exhortant à traiter avec douceur les évêques de son pays et à leur permettre d’obéir à l’archevêque de Tours, qu’il considérait comme leur véritable et légitime métropolitain, indiquant ainsi clairement que, en raison des guerres et querelles des princes, l’Église ne devrait pas être troublée. Sa Sainteté montra suffisamment par cette clause qu’elle comprenait bien la raison pour laquelle sa Majesté ne voulait pas que les évêques de son royaume obéissent à l’archevêque de Tours, à savoir qu’elle ne voulait pas que son pays soit soumis au roi de France, ni sur le plan spirituel ni temporel. À ce sujet, plusieurs lettres furent écrites du roi au pape et du pape au roi, dans l’une desquelles le saint Père lui dit que le pays qu’il gouverne ne devrait plus être appelé l’Occident, mais l’Orient, puisqu’un autre Salomon y régnait. Par de tels éloges similaires, sa Sainteté montra bien l’estime qu’elle portait au roi Salomon, bien qu’elle lui refusa le pallium pour Festinianus, archevêque de Dol, fondant son refus sur une réprimande amicale que le roi avait faite en préférant son propre nom à celui de sa Sainteté dans ses lettres.

Le Pallium

Le pallium est un ornement liturgique catholique consistant en une bande d’étoffe de laine blanche dont le port, sur la chasuble, est réservé au pape, aux primats, aux archevêques métropolitains et à quelques rares évêques, pendant la célébration de la messe. Il vient du latin pallium qui signifie manteau.

Donner le pallium à Festinianus consisterait à le reconnaître archevêque métropolitain et donc à la tête d’une province ecclésiastique et, ainsi, ayant autorité sur d’autres diocèses. Le roi Salomon souhaite affranchir la Bretagne de la métropole de Tours et obtenir l’autonomie du clergé breton.

Toutes ces admonitions du pape (qui n’étaient accompagnées d’aucun commandement), ni les excommunications des évêques français, ni les manœuvres d’Actard, ni les prières du roi de France ne purent jamais fléchir la constance du roi ni le convaincre de rappeler les évêques bannis et de céder aux droits de l’Église de Dol. Il décida donc d’envoyer une ambassade solennelle à Rome pour informer le pape de ses affaires et lui rendre obéissance au Saint-Siège.

En l’an 864, Sa Majesté épousa à Nantes la reine Cécile, grande princesse et vertueuse dame, fille de Flavius Patrice Romain. Immédiatement après, il organisa une ambassade vers le pape Adrien II, qui avait succédé à Nicolas Ier, dont il fit chef l’évêque de Vannes, Herena, et l’archidiacre Félix. Étant donné que la lettre de créance que le roi leur donna pour remettre à Sa Sainteté exprimait ses demandes et spécifiait les présents qu’il envoyait, nous la reproduirons ici en français, telle qu’elle a été tirée mot pour mot du latin.

« Au Seigneur et bienheureux pape du Siège Apostolique Romain, Adrien, Salomon, roi des Bretons, à genoux et tête baissée, souhaite une paix longue et durable en Jésus-Christ. Reconnaissant, par de nombreux signes évidents et les fréquentes calamités qui surviennent, que la fin du monde approche, nous avions fait vœu d’aller à Rome pour y faire nos prières et aussi vous présenter nos requêtes, d’autant que votre prédécesseur, Nicolas Ier (de mémoire bénie), aurait retiré le pallium à Festinian, évêque de Dol, parce que nous avions innocemment préféré notre nom au sien et lui avions envoyé nos lettres sans l’approbation de notre grand sceau, et par un ambassadeur peu qualifié. Mais, ayant consulté nos sujets sur notre voyage projeté, ils n’ont pas consenti à ce que nous quittions notre royaume pour visiter les sépulcres des bienheureux apôtres et d’autres lieux saints, car les païens rôdent sur nos côtes et ravagent les limites de notre pays. C’est pourquoi, considérant la gravité de nos offenses et la grandeur de la miséricorde de Dieu, nous supplions la toute-puissance de votre dignité de bien vouloir accepter ce petit présent que nous vous envoyons (si les saints apôtres daignent le regarder) : une statue en or de votre grandeur, tant en hauteur qu’en largeur ; une mule richement harnachée et caparaçonnée ; trente paires d’habillements ; une tente de tapisserie de trente pièces, brodée de laine de diverses couleurs ; trente peaux de cerf et trente pièces de drap pour l’usage de vos serviteurs ; et trente sols qui vous seront désormais payés chaque année. Et bien que nous considérions ces présents comme peu de chose par rapport à votre dignité, rappelez-vous de la pauvre veuve qui offrit deux deniers au temple, et pourtant vous entendrez par ces deux de nos ambassadeurs, l’évêque Herena et l’archidiacre Félix, et nos autres domestiques, que nous faisons construire un monastère qui n’est pas encore dédié à un saint ; nous vous prions donc de nous envoyer, par nosdits légats, quelque sainte relique approuvée de celles que vous possédez, afin que notre pays soit honoré par elle. »

Saint Salomon est dévoué à l'église catholique romaine.

Voici la teneur de la lettre que le roi écrivit au pape, dans laquelle on voit clairement combien ce bon prince était obéissant et affectueux envers l’Église, magnifique et généreux dans ses présents. Cette ambassade entra dans Rome avec beaucoup de pompe et fut honorablement reçue par les Romains. En peu de jours, elle obtint une audience. Les ambassadeurs logèrent chez Flavius, beau-père du roi Salomon, et après avoir expédié leurs affaires comme ils le souhaitaient, ils retournèrent en Bretagne, apportant au roi un bras de saint Léon, pape, ainsi que la lettre du pape, dont voici la substance :

« À très cher et très aimé fils Salomon, roi des Bretons, et à tous ses fidèles sujets, Adrien, pape par la grâce de Dieu, salut. Sachez, votre excellente Majesté, que nous avons prié Dieu pendant sept jours entiers de nous inspirer une réponse digne de votre magnificence. À la fin de ce temps, nous, ainsi que tous les Romains, persévérant dans le jeûne et la prière, il nous a semblé bon, à nous et à nos trois cardinaux, de vous envoyer une partie du corps de saint Léon, pape, comme un grand présent. Ainsi, que tous ceux qui habitent votre pays, de la Loire à l’Occident, qui n’ont pas pu se rendre à Rome, que ce soit à cause de leur âge, de leur sexe ou de toute autre raison, soient absous de leur vœu à condition de visiter trois fois cette relique. Nous envoyons également à notre frère l’archevêque Festinian le pallium que vous demandez, avec son privilège. »

Saint Salomon obtient du pape l'autonomie du clergé breton.

Le roi reçut cette lettre ainsi que le précieux don envoyé par le pape, qu’il déposa au monastère de Saint-Sauveur de Plelan, qu’il faisait actuellement construire dans son manoir royal de Brêcilian. Il donna le fonds de ce monastère au monastère de Saint-Sauveur de Redon, qu’il agrandit également en termes de bâtiments et de revenus. Le roi confirma toutes les fondations, privilèges et immunités que ses prédécesseurs rois de Bretagne avaient accordés aux monastères de Saint-Sauveur de Redon et de Léon. Il vouait une dévotion particulière à saint Aubin, évêque d’Angers, en l’honneur duquel il fonda la prévôté et le collège canonial de Saint Aubin dans sa ville de Guérande. Il fit également apporter d’Aquitaine en Bretagne le corps de saint Maixant, qu’il plaça dans le nouveau monastère de Plelan, richement enchâssé. Ce corps y fut gardé jusqu’en l’an 878, date à laquelle, comme d’autres corps saints, il fut transporté hors du pays pour éviter les ravages des Normands. Peu après le retour des ambassadeurs, le roi convoqua ses États à Dol à la fin de la même année. Lors de cette réunion, après avoir publiquement fait lire les lettres du pape, il restitua solennellement le pallium à l’archevêque Festinian, en enjoignant expressément aux autres évêques de le reconnaître comme leur métropolitain, et aucun autre. Après la fin des États, le roi se rendit à Saint-Pol-de-Léon, accompagné de barons, princes et seigneurs, pour assister à la réception du corps de saint Matthieu, l’évangéliste. Ce corps avait été enlevé du Caire, en Égypte, par les Bretons du Havre de Léon, suite à une révélation attribuée au saint lui-même, et ramené en Bretagne. Il fut ensuite solennellement déposé dans la cathédrale de Léon, bien que son séjour là-bas ne fut pas de longue durée, comme nous le verrons par la suite.

Charles le Chauve était un roi franc et empereur carolingien. Il est né en 823 et est décédé en 877. Il était le fils de Louis le Pieux, et petit-fils de Charlemagne. Charles le Chauve a été roi des Francs à partir de 843, et il a également été couronné empereur d’Occident en 875. Son règne a été marqué par des luttes pour le pouvoir et des affrontements avec ses frères et ses neveux, dans ce qui est devenu plus tard la France, l’Allemagne et l’Italie. Son règne est également associé à la crise de l’autorité centrale dans l’empire carolingien, qui a finalement conduit à son morcellement après sa mort.

Les Normands, ayant alors pris Angers, s’y fortifièrent et décidèrent de résister. De là, ils lançaient des incursions et des ravages dans la région, perturbant la navigation sur les rivières de Loire et de Maine. Le roi, qui les avait récemment vaincus et contraint leur prince Hasteing à se retirer après la bataille de Clavizae, fut sollicité par le roi Charles le Chauve de l’aider à chasser les barbares d’Angers. Après avoir consulté son conseil sur la question et constaté l’intérêt en jeu, le roi accepta. Il prépara son armée et assiégea la ville d’un côté, tandis que le roi de France faisait de même de l’autre. Cependant, leur entreprise aurait été vaine si le roi Salomon n’avait pas trouvé un moyen de les empêcher de profiter de leurs navires. En effet, il laissa le prince Guegon, fils de la reine Guihencrec, sa première épouse, avec la moitié de l’armée au siège, et fit venir de Bretagne deux mille Lamballais, d’excellents ingénieurs. En peu de jours, ces derniers modifièrent le cours de la rivière de Maine, privant ainsi les Normands de la navigation sur les deux rivières, ce qui constituait leur principale force. Face à cette situation, les Normands se rendirent à une trêve. Peu de temps après, le prince Guegon décéda, et la reine Cécile ne lui survécut pas longtemps. Cette double affliction plongea le roi dans une telle détresse qu’il décida alors de renoncer complètement au monde et de consacrer le reste de ses jours au service de Dieu dans un lieu écarté et solitaire.

Le roi Salomon s'allie avec Charles le Chauve contre les vikings.

Les Normands, ayant alors pris Angers, s’y fortifièrent et décidèrent de résister. De là, ils lançaient des incursions et des ravages dans la région, perturbant la navigation sur les rivières de Loire et de Maine. Le roi, qui les avait récemment vaincus et contraint leur prince Hasteing à se retirer après la bataille de Clavizae, fut sollicité par le roi Charles le Chauve de l’aider à chasser les barbares d’Angers. Après avoir consulté son conseil sur la question et constaté l’intérêt en jeu, le roi accepta. Il prépara son armée et assiégea la ville d’un côté, tandis que le roi de France faisait de même de l’autre. Cependant, leur entreprise aurait été vaine si le roi Salomon n’avait pas trouvé un moyen de les empêcher de profiter de leurs navires. En effet, il laissa le prince Guegon, fils de la reine Guihencrec, sa première épouse, avec la moitié de l’armée au siège, et fit venir de Bretagne deux mille Lamballais, d’excellents ingénieurs. En peu de jours, ces derniers modifièrent le cours de la rivière de Maine, privant ainsi les Normands de la navigation sur les deux rivières, ce qui constituait leur principale force. Face à cette situation, les Normands se rendirent à une trêve. Peu de temps après, le prince Guegon décéda, et la reine Cécile ne lui survécut pas longtemps. Cette double affliction plongea le roi dans une telle détresse qu’il décida alors de renoncer complètement au monde et de consacrer le reste de ses jours au service de Dieu dans un lieu écarté et solitaire.

Dans cette résolution, il assembla ses États en l’an 872, et, siégeant sur son trône revêtu de son habit royal, il adressa ces paroles aux prélats, seigneurs, barons et autres membres des États : “Seigneurs, cela fait longtemps que je désire renoncer entièrement au monde, et me dépouillant de la souveraine dignité que j’ai possédée parmi vous, me retirer en quelque lieu solitaire et écarté pour faire pénitence de mes péchés et me préparer à une bonne fin chrétienne. Mais avant d’exécuter ce dessein, j’ai voulu mettre en bon ordre mon État tant au spirituel qu’au temporel, comme je l’ai fait, grâce à Dieu, malgré les grandes difficultés qui m’ont été présentées, même de la part de certains d’entre vous, que je n’ai pas voulu punir aussi sévèrement que j’aurais pu le faire et que les lois semblaient le requérir, espérant que ma clémence vous incitera à mieux faire à l’avenir. Je vous laisse mon royaume paisible, riche, glorieux et opulent, autant voire plus qu’il ne l’a jamais été du temps d’aucun de mes prédécesseurs. Et étant donné que mon fils est trop jeune pour être couronné, je vous prie de gouverner vous-mêmes cet État, duquel je me sépare tellement qu’en cas d’affaires importantes qui surviendront, je ne vous assisterai que par mes conseils et mes prières.” Toute l’assemblée, ayant entendu les paroles du roi, ne put retenir ses larmes. Les seigneurs et barons acceptèrent le gouvernement de l’État. Une fois le parlement achevé, le roi se retira dans son château de Brêcilian, et en dehors de son parc, il fit construire un petit ermitage où il se retira pour vivre solitairement le reste de ses jours, menant une vie très sainte sous la conduite et la direction des religieux du monastère de Saint-Sauveur de Plelan.

Le roi Salomon abdique pour devenir ermite.

Le roi Salomon, après avoir vécu deux ans dans cette solitude, décida de faire couronner son fils, le prince Albigeon, déjà âgé de huit ans. Il en discuta avec les seigneurs qui le visitaient. Cependant, les parents et amis du défunt roi Érispöé, qui avaient toujours nourri une haine extrême envers ce prince, apprirent cette nouvelle du couronnement. Craignant que la royauté ne prenne racine dans cette lignée, ils décidèrent de tuer le roi et son fils. Pour mener à bien leur entreprise en toute sécurité, ils corrompirent secrètement les principaux officiers de la couronne, certains barons et grands seigneurs. Cette tâche ne leur fut pas très difficile, car le roi était un grand justicier et un censeur sévère des mœurs corrompues de son époque. Il veillait scrupuleusement à faire respecter les lois et était attentif à punir les réfractaires. Cette rigueur le rendit odieux à plusieurs, qui supportaient sa domination par contrainte et n’attendaient que l’occasion de se rebeller contre lui. Les principaux auteurs et chefs de la conspiration étaient les princes Pasteneten, comte de Léon, et Wrfeant, comte de Goëlo, frères du défunt roi Érispöé et cousins germains du roi Salomon. Ils menèrent si bien leurs affaires qu’il ne resta que deux comtes et deux évêques, qui demeurèrent des serviteurs très fidèles du roi, lesquels leur donnèrent l’occasion de s’empresser au plus vite. À cette fin, ils rassemblèrent une compagnie de gens perdus et déterminés, et, dans la nuit du 23 juin, veille de la fête de saint Jean Baptiste, ils se dirigèrent vers Brecilian, vers l’ermitage du roi, qui ne se doutait de rien, et, vers minuit, ils se préparèrent à enfoncer les portes pour mettre leur plan à exécution.

Mais Dieu, qui veille avec une attention particulière sur ses élus, ne permit pas qu’ils le surprennent sans défense, mais lui donna le temps de se préparer à la mort. En approchant de son ermitage, Dieu entoura ce lieu d’une lumière si grande et éclatante qu’elle leur aveugla la vue, et même s’ils essayèrent à plusieurs reprises d’y entrer, ils ne purent jamais approcher des portes, ce qui les obligea à se retirer, au point du jour, dans le château d’un seigneur de leur intelligence, qui se trouvait à proximité, où ils tinrent conseil sur ce qu’ils devaient faire. Pendant ce temps, le roi Salomon fut informé de leur résolution, et bien que fatigué et abattu par les pénitences et les austérités, il se retira au monastère de Saint-Sauveur de Plelan pour se préparer davantage à ce que Dieu déciderait pour lui. Les conjurés, apprenant la retraite du roi, jugèrent que leur plan avait été découvert et décidèrent de ne plus se cacher, mais de l’attaquer ouvertement. Selon cette décision, ils assiégèrent le monastère de Saint-Sauveur et l’attaquèrent de toutes parts. Cependant, grâce au mérite des prières des religieux de ce monastère, ils furent miraculeusement repoussés chaque fois qu’ils approchaient des murs, ce qui les effraya et les découragea tellement que certains, voyant clairement que Dieu combattait pour son saint, se repentirent de leur perfidie et retournèrent chez eux. Mais tout cela ne put détourner les comtes de leur entreprise. Pour mieux la réaliser, ils usèrent de ruse et envoyèrent un évêque de leur côté vers sa Majesté pour lui demander pardon en leur nom et le supplier d’oublier tout ce qui s’était passé, promettant désormais d’être de bons Bretons et ses fidèles sujets, et demandant la permission de lui rendre hommage en personne et de solliciter sa grâce. Le roi accueillit très favorablement cet évêque et, après l’avoir écouté, lui répondit qu’il leur pardonnait de tout cœur et qu’ils pouvaient venir hardiment vers lui, car il les recevrait favorablement et leur accorderait des lettres d’abolition selon leurs désirs. L’évêque remercia très humblement Sa Majesté et se prépara à partir, mais celle-ci lui demanda d’abord de lui administrer le Saint-Sacrement et de le communier, ce qu’il fit, puis il retourna vers les conjurés.

Les comtes, après avoir entendu la réponse de l’évêque, se mirent en route avec leurs soldats et entrèrent dans l’église. Ils trouvèrent le roi dans le chœur en train de prier Dieu. Le roi se leva et s’assit sur son siège pour les écouter, mais les comtes, sans le saluer, commencèrent à lui reprocher le meurtre de feu son cousin, le roi Érispôé. Après lui avoir adressé mille insultes et indignités, ils lui dirent que son heure était venue et qu’il devait expier ce crime par son sang. Le roi ne leur répondit rien, sinon que la volonté de Dieu soit faite. Immédiatement, ils saisirent le prince Albigeon et, l’amenant devant son père, le poignardèrent sous ses yeux. Puis, jetant leurs mains sacrilèges sur le roi, ils le précipitèrent de son trône, le frappèrent de coups de pieds et de poings, et le remirent entre les mains d’une bande de soldats francs. Ces derniers le ligotèrent étroitement et le traînèrent dans la nef de l’église, où son propre filleul lui arracha les yeux et les jeta par terre, les piétinant. Après lui avoir infligé mille autres sévices, ils lui tranchèrent la tête. Ainsi, son âme bénie s’envola vers le ciel le 25 juin de l’an 874, après huit ans de règne. Les assassins se retirèrent et les moines de Saint-Sauveur de Plelan recueillirent les corps du roi et de son fils. Ils les enterrèrent dans leur église, près des reines Guihenrek et Cécile, ses femmes, et leur rendirent des obsèques solennelles.

Saint Salomon fut le dernier roi de Bretagne.

Ainsi, la fin du roi saint Salomon marque également la fin du noble et ancien royaume de Bretagne Armorique. Dans cette histoire, nous pouvons contempler les justes jugements de Dieu, qui, de manière admirable, conduit ses élus à leur destinée ultime. Il transforme un ambitieux et meurtrier en un religieux pénitent et un saint. Cependant, Dieu permet également que le roi soit massacré par ses cousins germains dans l’église, comme un châtiment pour ses péchés passés. Cela démontre que Dieu punit sévèrement ceux qui ne respectent pas le lieu saint et la majesté royale, ayant souillé leurs lames dans le sang de l’oint du Seigneur.

Les conséquences de cet acte sont nombreuses : les deux comtes à la tête de la conspiration se querellent pour partager le royaume, ce qui mène à leur propre chute et à la ruine de la maison royale de Bretagne. Par ailleurs, les serviteurs et les domestiques du roi et du prince, ne se sentant pas en sécurité en Bretagne, se réfugient en Italie et se rendent à Rome auprès du patrice Flavius, le beau-père du roi défunt. Celui-ci, indigné par le cruel assassinat de son parent, fait armer plusieurs galères et grands vaisseaux qu’il envoie en Bretagne pour venger ce crime.

L’armée romaine arrive au printemps de l’année 875 et pille la comté de Leon, prenant Lesneven, Le Conquet, Saint-Mahé, Saint-Pol-de-Léon et la riche ville de Toulente, qu’ils incendient et rasent après avoir emporté le corps de saint Mathieu. Par la suite, ils assiègent Brest par mer et par terre, mais apprenant que Pastheneten arrive avec une forte armée, ils lèvent le siège et retournent en Italie, chargés de butin et de prisonniers.

Pendant que les comtes se battaient sans pouvoir s’accorder sur la succession du royaume, les Normands et les Danois, nations païennes et barbares, débarquèrent en Bretagne en l’an de grâce 878. Trouvant les seigneurs occupés à régler leurs querelles personnelles, ils ravagèrent tout le pays, brûlant les villes et les villages, détruisant les églises et massacrant le peuple comme des moutons. Craignant leur fureur, les ecclésiastiques décidèrent d’enlever les saints corps de Bretagne et de les transporter en France, où ils pensaient qu’ils seraient plus en sécurité. Ainsi, les corps de plusieurs saints furent transportés vers différentes villes de France. […] Ainsi, la Bretagne fut privée des vénérables reliques des saints qui avaient été honorées, et elle n’a jamais pu les récupérer malgré ses multiples demandes.

Pendant ces troubles et ces calamités publiques, Dieu manifesta la gloire de saint Salomon par de grands et extraordinaires miracles. En effet, tant à son tombeau qu’à son ermitage, plusieurs malades furent guéris, et même des morts furent ressuscités. Ces prodiges conduisirent le pape Anastase III à canoniser saint Salomon et à l’inscrire au catalogue des saints, en l’an de grâce 910, qui fut la première année du règne du très puissant prince Alain, surnommé Ré-Bras, premier duc de Bretagne.

À la suite de cette canonisation, plusieurs églises furent édifiées en son honneur, ainsi qu’une abbaye dédiée à saint Salomon de Paimpont, appartenant à l’Ordre de saint Augustin, dans le diocèse de Saint-Malo. De nos jours, dans les faubourgs de la noble et ancienne ville de Vannes, une paroisse porte également son nom. On le réclame comme protecteur, et le peuple, par son intercession, obtient des faveurs et la réalisation de ses requêtes.

Les saintes reliques de saint Salomon, exhumées, furent placées dans un riche reliquaire et soigneusement conservées à l’abbaye de Plelan. Cependant, lorsque les Normands descendirent à nouveau en Bretagne, ces reliques furent transportées hors du pays. On dit qu’elles se trouvent désormais dans la ville de Pluviers, dans le Gastinois.

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