Saint Hervé

par Arnaud

À l’époque où Justin Ier régnait sur l’Empire,  et qu’à Rome, siégeait le Pape Saint Hormisda, et le Roi Hoël II gouvernait la Haute Bretagne tandis que Jova régnait sur la Basse Bretagne, en l’an de grâce 515, Childebert Ier succéda à son grand-père Clovis à la tête de la Monarchie Française. Ce prince, doté de nombreuses qualités, se distinguait notamment par sa générosité et sa magnificence envers ceux qui lui rendaient service. Cela attira à sa Cour les esprits les plus éminents, non seulement de son propre royaume, mais également des pays voisins. Parmi eux se trouvait un jeune homme honorable du nom de Huvarnion, originaire de Grande-Bretagne, très érudit et compétent dans plusieurs langues qu’il maîtrisait parfaitement. Il excellait particulièrement en tant que musicien accompli, créateur de ballets et de chansons.

Le Roi, qui était un amateur de musique, l’accueillit dans sa demeure et lui accorda une généreuse rémunération. Ce nouveau courtisan ne se laissa pas séduire par les vices de la Cour, mais vécut dans la crainte de Dieu. Il se consacrait à la prière, fréquentait les églises, faisait des dons aux pauvres et, par-dessus tout, préservait sa chasteté avec un soin particulier.

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La vie de Saint Hervé

Selon l'hagiographe Albert Le Grand dans "La vie des saints de la Bretagne-Armorique". Traduit en français contemporain par Arnaud Chapin

Après avoir résidé pendant quatre années à la Cour, il décida de retourner dans son pays. Il sollicita sa permission de congé auprès du Roi, qui finit par l’accorder à contrecœur. Le Roi l’appréciait énormément en raison de sa vertu et lui fit des cadeaux et des présents avant de l’envoyer en Basse Bretagne auprès du Lieutenant du Roi Jugdual. Des lettres de recommandation furent également fournies pour faciliter son passage vers son pays d’origine.

Il fut chaleureusement accueilli par ce Lieutenant et resta chez lui pendant trois jours. Pendant cette période, il fit un rêve une nuit où il avait épousé une jeune vierge de la région où il se trouvait. Le rêve se répéta la nuit suivante. Le matin suivant, il assista pieusement à la messe et pria humblement notre Seigneur. Il supplia que si ces rêves étaient le résultat de l’influence trompeuse et malicieuse de l’esprit de débauche, Dieu daigne le délivrer, car il désirait vivre dans la chasteté toute sa vie. S’il s’agissait plutôt de messages de la part de Dieu, il demanda que Sa sainte volonté lui soit révélée de manière plus claire. Il jeûna toute la journée, puis le soir venu, après avoir fait la même prière, il se coucha et eut un troisième rêve extraordinaire.

Il vit un jeune homme entrer dans sa chambre, entouré d’une intense lumière. Ce jeune homme le salua humblement et lui parla. Il lui dit de ne pas douter qu’il devait prendre pour femme celle qu’il avait vue dans ses rêves les nuits précédentes. Cette jeune femme, tout comme lui, désirait préserver sa chasteté, mais Dieu avait un plan différent et voulait qu’un enfant naisse d’eux. Cet enfant serait un grand saint et serviteur de Dieu. “Vous la rencontrerez demain”, dit-il, “sur votre chemin près d’une fontaine. Elle s’appelle Rivannone.”

Saint Hervé est fils d'un barde pieux et érudit.

Le lendemain, Huvarnion raconta sa vision au Lieutenant, qui en fut extrêmement heureux. Tous deux montèrent alors à cheval pour se diriger vers la mer. Peu de temps après, ils rencontrèrent la jeune femme près d’une fontaine. Interrogée sur son nom et sa lignée, elle répondit poliment qu’elle se nommait Rivannone et qu’elle vivait chez son frère Riovaré depuis le décès de leur père.

Cette réponse les fit rebrousser chemin. Après avoir fait venir Riovaré et la jeune Rivannone, ils partagèrent la vision qu’avait eue Huvarnion. Ils découvrirent que la jeune fille avait eu une vision similaire. Cette coïncidence réjouit grandement l’assemblée. Le mariage fut alors décidé et célébré peu de temps après. Les jeunes mariés allèrent vivre chez leur frère Riovaré.

Saint Hervé naît aveugle.

Peu avant la fin de l’année, Rivannone donna naissance à un garçon, mais l’enfant vint au monde aveugle. Il fut baptisé et reçut le nom d’Hervé, en hommage à son père. Ce dernier ne vécut que cinq ans après la naissance de son fils et décéda dans la réputation de la sainteté. Il laissa derrière lui le jeune Huvarne encore très jeune, sous la protection de sa mère. Elle l’éleva avec grand soin sur le territoire de Kereran, où son berceau est encore conservé comme une précieuse relique. Le simple contact de ce berceau a guéri plusieurs malades.

En grandissant, sa mère lui enseigna sa foi et son psautier. Avant l’âge de sept ans, il connaissait l’intégralité par cœur, ainsi que les hymnes communes du bréviaire. Dieu, pour lui offrir davantage d’opportunités de mérite, permit qu’il naisse aveugle, nécessitant ainsi un guide pour le guider et le diriger. Un jour, alors qu’il se rendait à l’église paroissiale la veille de la Toussaint, il s’arrêta dans un village où on lui offrit un rafraîchissement. S’asseyant sur un rocher pour se reposer, il éternua et perdit une dent qu’il enfonça dans une fissure de la roche.

En quittant le village et poursuivant son chemin vers l’église, les villageois remarquèrent une grande lumière émanant du rocher sur lequel il s’était assis, comme celle d’une lampe ou d’une torche. Même son guide, en regardant en arrière, vit le village d’où ils venaient briller comme une grande torche de feu, semblant toucher les nuages. Il en avertit le Saint Enfant, qui lui dit : “C’est ma dent qui brille ainsi. Allez me la chercher, je vous attendrai ici.” Il planta son bâton dans le sol en signe de repère.

Le garçon alla chercher la dent mais il avait couru si vite qu’il était presque épuisé par la chaleur et la soif. Saint Hervé, anticipant cela, lui ordonna de retirer son bâton du sol. Immédiatement, une belle source jaillit à l’endroit même, dont il but et qui existe encore aujourd’hui sous le nom de “Feunteun sant Huvarné”, la fontaine de Saint Hervé.

Ce saint enfant, à mesure qu’il grandissait en âge, croîssait aussi en vertu et en mérites, et Dieu accomplissait de grands miracles par son intermédiaire et en sa faveur. Un jour, alors que son guide le conduisait à travers un village, quelques petits bergers se moquèrent de lui en lui disant : “Ma éaz te, dallic; ma-it-hu, da~hc ?” ce qui signifiait : “Où vas-tu, petit aveugle ? Où allez-vous ?” Cependant, le Saint n’a pas souhaité les punir aussi sévèrement que le prophète Élisée l’a fait avec d’autres enfants qui se sont moqués de lui. Au lieu de cela, il leur dit : “Petits sots que vous êtes, je prie mon Dieu de pardonner à vos âmes cette offense que vous m’avez faite, et je demande qu’en punition de cela, vous ne grandissiez jamais plus.” Et cela s’est réalisé ; ces enfants sont restés petits comme des nains tout au long de leur vie.

Une autre fois, en passant par le même village, il se blessa le pied (car il marchait toujours pieds nus) sur des rochers pointus. Ces rochers devinrent par la suite si durs que ni le fer ni l’acier ne purent les entamer.

Saint Hervé est formé au monastère.

Animé par le désir de servir Dieu dans l’état ecclésiastique, il entra à l’école chez un saint moine du nom de MorftonHs, où il resta pendant sept ans. Durant cette période, il mémorisa le chant ecclésiastique et la grammaire, avec une telle perfection qu’il surpassait tous ses camarades. À la fin de ses études, il se rendit auprès de son oncle maternel, le saint homme Wlphroëdus (Saint Urfold), personnage doté d’une rare sainteté et d’une grande érudition. Celui-ci vivait dans un petit monastère au sein de l’Archidiaconé d’Akh.

Ne sachant pas exactement dans quel lieu retiré sa mère s’était réfugiée (car elle avait renoncé à tous ses biens pour se retirer en solitude), il consulta le bon saint Wlphroëdus à ce sujet. Dieu lui éclaira l’esprit, non seulement en révélant l’endroit où se trouvait sa mère, mais aussi en indiquant qu’elle avait obtenu le pardon de ses péchés et qu’elle allait bientôt quitter ce monde. Cela le détermina à la voir au plus vite, à recevoir sa bénédiction et à l’assister dans ses derniers moments.

Cependant, à cause de son infirmité et de sa cécité, saint Wlphroëdus obtint de lui qu’il aille d’abord rendre visite à sa mère. Après lui avoir donné des nouvelles, ils retourneraient ensemble auprès d’elle pour la soutenir dans son passage vers l’au-delà.

Il est toujours accompagné par Guiharan, son fidèle guide.

Saint Hervé accepta cette proposition, et Saint Wlphroëdus se mit en route, ayant confié la gestion de son humble demeure à son neveu Saint Hervé et à son guide nommé Guiharan, leur laissant même son âne pour finir les travaux des champs. Le jeune homme suivit les instructions données et emmena l’âne paître dans quelques champs. C’est là que le loup, voyant une opportunité, dévora l’âne. Guiharan, témoin de la scène et ne pouvant rien y faire, se mit à crier et à agiter les bras pour effrayer le loup.

Saint Hervé, qui priait alors dans l’oratoire, entendit ces cris et sortit. Après avoir été informé de la situation, il rentra et redoubla ses prières, demandant à Dieu de ne pas permettre que ce malheur frappe son bon oncle et hôte à cause de lui. Pendant qu’il priait ainsi, le loup arriva en courant. Guiharan, voyant cela, cria au saint de fermer la porte de la chapelle sur lui-même pour se protéger. Cependant, Saint Hervé répondit : “Non, non, il ne vient pas pour faire du mal, mais pour réparer le tort qu’il nous a causé. Amenez-le et servez-vous de lui comme vous le faisiez avec l’âne.”

C’est ce qu’ils firent. Il était étonnant de voir ce loup cohabiter pacifiquement avec les moutons, sans leur nuire. Il tirait la charrue, portait des charges et effectuait d’autres services domestiques, se comportant comme une bête de ferme.

Saint Hervé domestique un loup qui a dévoré son âne.

Cependant, Saint Wlphroëdus accomplit sa mission, rendit visite à sa sœur, la mère de Saint Hervé, et lui transmet les recommandations de son fils. Cette nouvelle remplit de joie la mère, même si elle était très malade, affaiblie et épuisée par ses austérités et ses pénitences. Elle pria son frère, Saint Wlphroëdus, de faire venir son fils auprès d’elle, ce qu’il promit de faire. Une fois rentré chez lui, Saint Wlphroëdus, apprenant le miracle du loup et de l’âne, remercia Dieu et emmena Saint Hervé retrouver sa mère.

Là, il lui révéla la vision qu’il avait eue, indiquant que sa mère allait bientôt quitter cette vie et qu’elle avait obtenu le pardon de ses péchés. La bonne dame accueillit ces nouvelles avec une grande joie, bénit son fils et le supplia de rester avec son oncle, Saint Wlphroëdus, jusqu’à ce qu’elle soit décédée. Saint Hervé accepta sa demande et demeura dans cet ermitage aux côtés de quelques autres religieux. Pendant ce temps, Saint Wlphroëdus entreprit un voyage dans une forêt appelée la forêt de Mael Duin.

Pendant son séjour à cet ermitage, un ange lui révéla la date du décès de sa mère. Il en informa les autres moines qui étaient avec lui, les envoyant deux par deux chaque nuit pour veiller et prier dans sa cellule. La veille du jour du décès, tous les voisins purent observer une échelle brillante qui s’élevait au-dessus de son oratoire, touchant d’un bout le ciel. Les anges montaient et descendaient le long de cette échelle, chantant des motets et des cantiques extrêmement mélodieux.

Saint Hervé se rendit sur place, lui administra le saint viatique, et après son décès, il la fit ensevelir dans cet oratoire même, qui est maintenant l’église paroissiale de Lantf-MoHarTte. Depuis lors, de nombreux miracles se sont produits près de sa tombe.

Saint Hervé instruit les enfants.

Après le décès de sa mère, Saint Hervé resta longtemps dans son oratoire, priant jour et nuit près de sa tombe. Ensuite, il ouvrit une école et se mit à instruire les enfants qui venaient de toutes parts pour le voir. Il vécut dans cet endroit, en compagnie de quelques autres moines, dans une grande sainteté et perfection, émerveillant tout le pays par les nombreux miracles que Dieu accomplissait par son intermédiaire.

Un jour, il eut une révélation de la mort de son oncle, Saint Wlphroëdus. Voyant que son oratoire était devenu très fréquenté par les gens venant le visiter, il décida de quitter cet endroit et de chercher un autre oratoire plus éloigné du monde. Il partit donc, accompagné de ses moines, et souhaita visiter l’oratoire et le sépulcre de Saint Wlphroëdus. Cependant, il se perdit dans le désert. Heureusement, il rencontra quelques bergers à qui il demanda de le guider vers l’oratoire du saint. Les bergers le conduisirent à cet endroit, mais ils constatèrent que le lieu saint avait été négligé au point qu’il était en ruines, et les débris recouvraient tellement le sol qu’il était impossible de discerner où reposait le corps du saint.

Pendant ce temps, Saint Hervé se prosterna en prière. La terre se mit alors à trembler violemment, renversant tous ceux qui se trouvaient dans l’oratoire. À l’endroit où reposait le saint, le sol s’ouvrit, et une odeur suave et parfumée en émana, plus agréable que tout parfum. Cette fragrance persista pendant un mois entier. Suite à ce miracle manifeste, Saint Hervé découvrit l’emplacement du sépulcre de son maître et oncle. Il le réaménagea avec des pierres, et cet endroit fut par la suite le théâtre de nombreux grands miracles.

De là, Saint Hervé se rendit à Saint-Pol-de-Léon, pour rencontrer l’évêque. Celui-ci le reçut chaleureusement et lui conféra les ordres mineurs jusqu’à l’exorciste, car Saint Hervé ne souhaitait pas aller plus loin ni être promu davantage, se jugeant indigne. En revenant, il vécut une expérience notable. Alors qu’ils étaient loin de Saint-Paul, Saint Hervé dit à ses moines : “Levez-vous, mes frères, cela m’ennuie d’être toujours en mouvement et vagabonder de cette manière. Prions Dieu qu’il nous révèle un endroit où nous pourrons nous établir pour le servir tout le reste de nos jours.”

Ils se mirent tous à prier, et une voix se fit entendre, disant : “Va toujours droit vers l’Orient et arrête-toi là où je te dirai, par deux fois, de te reposer. Là, vous vous établirez.” Après avoir exprimé leur gratitude envers Dieu, ils poursuivirent leur route en rebroussant chemin vers l’Est. Quand ils furent bien avancés, ils s’assirent dans un champ de blé, se reposant à l’ombre. À ce moment-là, une voix céleste se fit entendre clairement et distinctement, disant : “Chommit azé, chommit a:e,” ce qui signifie “Demeurez-là, arrêtez-vous là.” Ils rendirent grâce à Dieu, et étant assoiffés à cause de la chaleur et du chemin parcouru, Saint Hervé, par ses prières, fit jaillir une source fraîche dans ce champ. Ce champ appartenait à un homme honnête du nom d’Innoco.

Saint Hervé fit appeler Innoco et lui fit part de la volonté de Dieu. Il le supplia de lui donner un quartier de ce champ afin d’y édifier un petit monastère pour lui et ses moines.

Saint Hervé fonde un monastère.

Innoco répondit : ‘En effet, vous ne mentionnez pas que mon blé est encore tout vert, et ainsi, ce que vous couperez maintenant sera perdu. Soyez patients jusqu’à l’année prochaine en août.’ ‘Non, non,’ dit Saint Hervé, ‘il n’en sera pas ainsi, car autant de blé que je couperai maintenant de votre champ, autant je vous le rendrai sec et mûr à la moisson.’ Innoco accepta cela, et ils commencèrent tous à récolter le blé, qu’ils lièrent en gerbes et mirent de côté. Dieu les favorisa tellement qu’au moment de la moisson, ces gerbes qui avaient été récoltées alors qu’elles étaient encore vertes non seulement mûrirent, mais se multiplièrent tellement que d’une gerbe on en fit deux. En voyant ce miracle et la fontaine miraculeuse de Saint Hervé, Innoco remercia Dieu de leur avoir envoyé ces hommes saints et donna le champ entier au Saint, ainsi que le village voisin. Il promit également de leur construire une belle église à ses frais.

À une autre occasion, alors que Saint Hervé était avec ses ouvriers, un seigneur local était à la poursuite de deux voleurs qui avaient volé les bijoux de sa femme. Il passa avec une grande escorte sans saluer ni reconnaître le Saint. Alors qu’il continuait son chemin, un épais nuage les entoura, et les chevaux furent incapables d’avancer malgré les efforts des cavaliers. Finalement, quelqu’un dans sa suite suggéra que cela pourrait être une punition pour être passé devant le Saint sans le saluer. Le seigneur fit demi-tour vers Saint Hervé, descendit de cheval, se jeta à ses pieds et demanda pardon. Le Saint le releva, et grâce à sa prière, obligea les voleurs à se présenter. Il sauva leurs vies et rendit les bijoux volés au seigneur, qui s’appelait Trymadec’h.

Saint Hervé impose le silence aux grenouilles.

Ne voulant pas être trop dépendant de son bienfaiteur Innoco, il décida de faire une quête à travers les environs pour aider à la construction de son monastère. Il se fit guider à travers les montagnes d’Aré jusqu’au pays de Cornouaille, où la nouvelle de son arrivée se répandit immédiatement. Il séjourna un jour dans un manoir appelé Lannguedrec, chez un grand seigneur du nom de Woigonus, qui l’accueillit très honorablement, le considérant non comme un simple homme, mais comme un saint, un grand ami et serviteur de Dieu qu’il était.

Ce manoir était bien boisé et comportait plusieurs étangs et viviers dans ses bois, où il y avait beaucoup de grenouilles dont les coassements étaient très gênants. Un soir, pendant le souper, alors que ces créatures commençaient leur concert, le seigneur mentionna cette nuisance au Saint. Saint Hervé se mit alors à prier, et immédiatement, les grenouilles se turent complètement, comme si on leur avait coupé la gorge. Cependant, un membre de la compagnie, voyant ce miracle, déclara à haute voix : “Eh bien, si à cet instant, toutes les autres grenouilles se taisent et qu’une seule continue à coasser, je croirai que cet homme est un saint.” À peine avait-il fini de parler que cette seule grenouille se mit immédiatement à coasser et continua ainsi. Ces miracles, observés par le seigneur Woigonus, l’incitèrent à offrir au Saint autant de bois de sa forêt qu’il en aurait besoin, ainsi que plusieurs terres et accords, tout en le recommandant à ses prières.

Saint Hervé accomplit moultes exorcismes.

En revenant de Cornouaille, il passa par la cour d’un comte du nom d’Helenus, qui le reçut avec une grande joie et lui offrit le meilleur accueil qu’il pouvait imaginer. Saint Hervé lui dit à l’oreille : “Seigneur Comte, je suis venu vous voir pour vous délivrer, vous et les vôtres, d’un très grand danger qui vous menace. Dieu m’a révélé qu’il y a un démon en forme humaine dans votre maison, qui vous sert comme domestique.” Le comte fut très surpris par ces paroles, mais ne laissa rien paraître. Les tables furent dressées, la compagnie s’assit, et saint Hervé demanda à boire. Le démon, sous forme de page, lui apporta une coupe. Le Saint leva la main et fit le signe de la croix sur la coupe, qui se brisa en morceaux et renversa le vin. Le comte, étonné, ordonna de servir à nouveau, mais le même phénomène se produisit une deuxième et une troisième fois. Alors, saint Hervé prit le démon à part et le conjura de révéler son identité et ce qu’il cherchait dans la maison. Le démon avoua : “Je suis un diable de l’enfer qui incite aux débauches, à la gourmandise, qui provoque les disputes, les discords et les querelles. Et puisque, à mon grand regret, la puissance de Dieu me contraint, par l’intermédiaire de son serviteur, à vous le révéler, j’avais préparé ce breuvage spécialement. Si vous l’aviez bu, vous vous seriez tous entretués avant de quitter cet endroit.” À ces mots, le Saint lui ordonna, au nom de Dieu, de quitter cette demeure et de ne plus jamais y revenir. Le démon obéit et s’écria dans les airs : “Hervé, Hervé, serviteur de Dieu, pourquoi m’as-tu mené dans un endroit si difficile !” Le comte Helenus, libéré de cet ennemi cruel, remercia Dieu et saint Hervé. Ce dernier, prenant congé, se retira ensuite dans son monastère.

Saint Hervé chasse les démons.

Il découvrit une fraude similaire au monastère de saint Majan. Par le commandement de Dieu, qu’un ange lui avait révélé, il apprit qu’au sein des domestiques de ce saint abbé se cachait un démon en forme humaine. Saint Hervé en informa saint Majan, qui fit venir tous ses domestiques et les présenta à saint Hervé, un par un. Le saint les interrogea sur leur origine, leurs noms et leurs fonctions. Le démon, redoutant de se montrer devant le saint, retarda autant qu’il le put, mais finalement il ne put échapper à la confrontation.

“Il me nomme Hucan,” dit-il, “je suis originaire d’Hybernie. Je suis bon charpentier, maçon, serrurier, et je peux exercer presque tous les métiers.”

“Très bien,” dit le saint, “puisque tu es si habile et polyvalent dans tous les métiers, imprime le signe de la croix avec ton doigt sur ce sol et adore Jésus-Christ crucifié.”

Le misérable voulut s’enfuir et se cacher, mais saint Hervé l’arrêta et dit à saint Majan : “Voyez maintenant quel serviteur vous avez utilisé. Emmenons-le chez votre voisin, l’abbé saint Geldouin, pour savoir ce que nous devons en faire.” Ils le conduisirent donc chez lui, et après avoir été conjuré et avoir avoué qu’il était venu dans ce monastère pour tromper et séduire les moines, il reçut l’ordre, de la part de Dieu, de ne plus jamais se trouver là. Il fut ensuite précipité dans la mer.

De ce temps-là, le comte Conomor avait épousé sainte Triphine, la fille de Guerok, comte de Vannes. Sentant que cette dame était enceinte, dans une cruauté plus que barbare, il la tua ainsi que son enfant. Cet acte atroce fut tellement révoltant que Guerok, le père de Triphine, fit appel à l’ensemble des évêques de Bretagne pour châtier cet acte et l’expurger du corps de l’Église. Cette assemblée eut lieu dans la montagne appelée Menez-Bré, près de Louargat, entre Belle-Isle et Guingamp. Ils ne pouvaient pas s’assembler dans une ville de peur du tyran Conomor, qui avait tué le roi Johava et maintenait Jugdual, son fils, hors du pays, faisant ce qu’il voulait dans la région. L’évêque de Léon, qui présidait le synode, avait convoqué saint Hervé pour venir avec lui. Cela a retardé l’arrivée, car saint Hervé, étant aveugle et marchant toujours pieds nus, ne pouvait pas se déplacer aussi rapidement que les autres.

Lorsqu’ils sont arrivés, l’un des membres de l’assemblée, ayant entendu la raison du retard de l’évêque de Léon, s’est mis en colère, disant : “Quoi ? Nous avons attendu si longtemps pour cet aveugle ?” Saint Hervé n’a pas été irrité par cela, mais lui a répondu doucement : “Mon frère, pourquoi me reprochez-vous ma cécité ? Dieu ne pourrait-il pas vous rendre aveugle, tout comme moi ? Ne savez-vous pas que Dieu nous a faits comme il l’a voulu, et que nous devrions le remercier pour ce qu’il nous a donné d’être tels que nous sommes ?”

Les autres évêques ont réprimandé sévèrement ce personnage, qui n’a pas tardé à ressentir la lourde main de Dieu sur lui. Immédiatement, il est tombé à terre, le visage tout ensanglanté, et il a perdu la vue. Les assistants, réalisant qu’il s’agissait d’une punition divine, ont supplié saint Hervé de le guérir. Ils se sont tous mis à prier, et le saint, après avoir demandé du sel et de l’eau pour bénir, a appris qu’il était difficile de trouver de l’eau en un endroit si élevé. Cependant, avec son bâton, il a tracé le signe de la croix sur le sol, ordonnant de creuser à cet endroit. À leur grande surprise, une source d’eau est apparue, qui a été bénie par les évêques présents. Le saint a lavé les yeux de l’aveugle avec cette eau et lui a rendu la vue. En mémoire de ce miracle, une chapelle a été érigée au sommet de cette montagne en l’honneur de saint Hervé et des saints de Bretagne.

Saint Pol de Léon et Saint Hervé partagent une vision mystique du ciel.

Après la fin du synode, l’évêque de Léon et saint Hervé sont retournés ensemble. Pendant leur voyage, ils ont eu une conversation familière, au cours de laquelle saint Hervé a évoqué les révélations célestes et les visions fréquentes qu’il avait. En entendant cela, l’évêque l’a supplié de prier Dieu pour qu’il puisse également en être témoin. Saint Hervé a accepté cette demande, et une fois arrivés, ils se sont retirés du monde pendant trois jours. Durant cette période, ils ont jeûné et prié en se préparant spirituellement. Le troisième jour, autour de midi, ils ont entendu une voix qui leur a dit de regarder vers le ciel. En levant les yeux, ils ont vu le ciel s’ouvrir et ont contemplé, pendant un long moment, en toute tranquillité, les ordres et les hiérarchies angéliques, les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges et toute la cour céleste. Pendant ce temps, ils ont également entendu une mélodie harmonieuse si envoûtante qu’ils étaient tous enchantés. Saint Hervé a commencé à nommer chacun d’eux un par un, un ange lui suggérant et dictant leurs noms. Ensuite, ils ont chanté le cantique “Cantemus Domino”, et lorsque le chant s’est terminé, le ciel s’est refermé. L’évêque de Léon était tellement émerveillé par cette vision qu’il avait du mal à détourner les yeux du ciel. Finalement, après avoir pris congé de l’évêque, saint Hervé est retourné à son monastère.

Une autre anecdote relate qu’un renard avait attrapé une poule du monastère de saint Hervé. Le saint a prié Dieu de lui révéler le voleur qui avait dérobé la poule. Tout à coup, le renard est revenu avec la poule saine et sauve, l’apportant là où il l’avait prise.

Après sa mort, une musique mélodieuse résonne dans les airs.

Enfin, lorsque le moment choisi par Dieu pour le récompenser approcha, saint Hervé reçut une révélation de sa mort prochaine dans six jours. Il en fit part au prêtre Hadrian, à Hardian, à Gozhuran et à ses autres moines. Sa tante, une femme vertueuse du nom de Chrestienne, apprit la nouvelle de sa mort imminente et vint se jeter à ses pieds, le suppliant de ne pas lui permettre de survivre à sa disparition. Saint Hervé lui répondit en disant que cette demande devait être adressée à Dieu seul, car Lui seul peut prolonger ou abréger la vie selon Sa volonté. Il lui demanda simplement de le servir durant sa dernière maladie et de laisser le reste entre les mains de la sainte volonté de Dieu.

Après avoir recommandé son monastère et ses confrères au prêtre Hadrian, saint Hervé fit une procession autour de son ermitage, puis se coucha sur son grabat, frappé par une maladie grave qui l’affaiblit rapidement. Il fit appeler Saint Paul Aurélien, qui arriva le sixième jour de sa maladie. Il se confessa à lui, reçut l’absolution et la bénédiction épiscopale, ainsi que le saint viatique et l’extrême-onction. Il recommanda ses moines au saint prélat, puis, étendu sur des cendres et vêtu de son cilice, il rendit son âme heureuse entre les mains de son Sauveur. Sa pieuse tante Chrestienne, qui s’était jetée à ses pieds, décéda également à ce moment-là.

Immédiatement après son décès, l’évêque et les autres moines entendirent une musique mélodieuse résonner dans les airs. Le saint prélat, accompagné des saints abbés Guenegan, Maël et Mormedus, ainsi que de leur clergé et de leurs moines, célébrèrent ses funérailles. Son corps fut déposé devant l’autel de son ermitage, dans un coffret de pierre solidement scellé avec des lames de fer et de plomb. Par la suite, une église paroissiale fut construite au-dessus de cet humble ermitage, et elle fut nommée Land-Bévet, en l’honneur de saint Hervé. Son tombeau se trouve toujours dans cette église, et de nombreux miracles continuent d’y être attribués grâce aux mérites de ce saint homme.

* Selon l'hagiographe Albert Le Grand dans "La vie des saints de la Bretagne-Armorique". Traduit en français contemporain par Arnaud Chapin

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