Avant de commencer le récit de la vie de ce saint homme, je tiens à vous avertir que nos Bretons appellent saint Tugdual “Sant Pabu” ou “Papu” parce qu’ils prétendent qu’il a été Pape de Rome, nommé Léon V. Britigena. Ils veulent ainsi exprimer le terme “Pape” en l’appelant “Pap,” et en ajoutant la lettre “V,” qui, en chiffre romain, vaut cinq. Dans les diocèses de Tréguier, Léon, Cornouaille, Vannes et quelques autres, il existe un grand nombre d’églises et de chapelles qui lui sont dédiées sous le nom de “Papu” ou composées de ce dernier, telles que Land-Pabu, Tré-Pabu, Loc-Pabu, Ker-Pabu, Mouster-Pabu, et d’autres similaires. Cependant, il est difficile de justifier la tradition selon laquelle il aurait été Pape de Rome et nommé Léon V.
En effet, dans le sixième siècle, époque à laquelle vivait notre Saint Tugduval, il n’y a aucun Pape portant le nom de Léon, et celui qui est le cinquième du nom a vécu au dixième siècle, ayant commencé à régner en l’an 907. Aucun des auteurs qui ont traité des Papes n’a mentionné ce Léon Britigena, que ce soit au sixième siècle ou au dixième siècle. Néanmoins, la tradition persiste, et les anciens légendaires manuscrits de Land-Treguer, Chartres et Laval en parlent, en voici les propres mots :
« Une fois arrivé à Rome, il passa la nuit dans l’église de Saint-Pierre, chantant des hymnes et des louanges à Dieu. Le lendemain matin, il assista, avec tout le peuple, aux obsèques du Pape qui était décédé la nuit précédente. Une fois les obsèques terminées, tout le clergé et le peuple se mirent en prières pour que Dieu pourvoie à son Église d’un digne pasteur.
Alors, au moment où ils se mettaient à genoux, une Colombe céleste se posa sur la tête de Saint Tugduval, ce qui leur fit comprendre qu’il était digne du Souverain Pontificat. Témoins de ce signe céleste, ils remercièrent Dieu, et en se jetant sur le Saint (qui était en train de prier), ils l’enlevèrent de force et le présentèrent devant l’Autel. Malgré ses excuses qu’il était étranger et qu’il ne voulait pas accepter cette fonction, ils l’installèrent sur le Trône Apostolique et il fut nommé “Léon Breton,” que les Bretons appellent “Sant Pabu” . »
La vie de Saint Tugdual*
Saint Tugdual était originaire de Grande-Bretagne. L’histoire de sa vie ne mentionne pas son père, mais sa mère était une dame issue d’une grande famille, sœur de Rivallon Murmaczon, qui quitta la Grande-Bretagne pour s’installer en Basse-Bretagne et fut à l’origine des Rois et du Royaume de Domnonée . Elle s’appelait Pompsea, et on la désigne généralement sous le nom de sainte Copaja. Elle est enterrée dans le chœur de la paroisse de Land-Coat, près de la Roche-Derien.
Ses parents furent attentifs à son éducation et l’ont bien instruit et élevé. Après avoir terminé ses études, il fut envoyé avec d’autres jeunes seigneurs de son rang dans de bonnes compagnies, où Saint Tugdual se conduisit avec tant de retenue que les autres le prenaient comme un modèle et un parfait exemple de vertu. Plus tard, il prit la décision de se consacrer à Dieu, laissant derrière lui les vaines espérances du monde. Il revêtit la soutane et la robe cléricale, assista assidûment aux offices de l’Église, se consacra à la prière, donna l’aumône, vint en aide aux nécessiteux et s’adonna à des œuvres de charité. Enfin, désirant se retirer complètement du monde, il entra dans un monastère où, après avoir postulé pour l’habit monastique pendant un certain temps, il fut reçu comme religieux.
une vie de prière au monastère
Ce jeune novice fut rudement attaqué par l’ennemi, qui ne lui laissait ni repos ni répit, jour et nuit. Pour se préserver, il se mortifiait en pratiquant des jeûnes, des veilles et des abstinences continuelles, et il était constamment plongé dans la prière. Son repas se composait simplement de pain sec et de quelques légumes, et il buvait de l’eau claire. Son lit était le sol, et il consacrait tout son temps à la prière. Sa vie exemplaire et sa rare sainteté ne pouvaient rester cachées dans les limites de son monastère, et sa réputation se répandit dans les environs. Les gens venaient le voir, certains pour recevoir des conseils avisés, d’autres pour lui demander de prier pour eux, et beaucoup, souffrant de maladies pénibles, venaient chercher la guérison, et il répondait à toutes leurs demandes.
Lorsque l’abbé de son monastère décéda, il fut choisi pour le remplacer, bien qu’il fût réticent, car sa profonde humilité lui faisait croire qu’il était indigne d’une telle dignité. Cependant, une fois à la tête du monastère, il démontra rapidement que son choix et son élection avaient été inspirés par Dieu. Il gouverna avec sagesse, vigilance et sainteté, et tous les religieux de son monastère se considéraient chanceux d’être sous la direction d’un père aussi bon et attentif.
Dieu commande à Saint Tugdual d'aller en Bretagne.
Mais leur joie ne dura pas longtemps, car une nuit, après les matines, alors que tous les religieux s’étaient retirés dans leurs cellules, un ange lui apparut et lui dit : “Tugduval, Dieu te commande de quitter la Grande-Bretagne, ta patrie, et de te rendre rapidement en Petite-Bretagne.” En se réveillant à cette voix, il descendit au chœur et se mit en prière, demandant à Dieu de lui réitérer et de lui assurer de sa sainte volonté si ce commandement venait de Lui. Les deux nuits suivantes, l’ange lui apparut de nouveau, lui donnant le même commandement, et, la dernière fois, le menaçant en cas de retard.
Le matin suivant, il convoqua un chapitre et raconta ses visions à tous ses religieux, déclarant que la volonté de Dieu était qu’il les quitte pour partir outre-mer en Bretagne Armorique. À cette nouvelle, ses pauvres religieux se jetèrent à ses pieds, le suppliant de ne pas les abandonner. Le saint les consola, leur expliquant qu’il était raisonnable d’obéir au commandement de Dieu, mais il leur assura que ceux qui le souhaitaient pourraient l’accompagner. Cela les réjouit, et soixante-douze d’entre eux décidèrent de le suivre. Parmi eux, on trouvait Saint Ruelin, Saint Guevroc, Saint Goneri, Saint Loëvan, Saint Briac et d’autres saints personnages, ainsi que sa mère Sainte Pompsea, qui, après la mort de son mari, avait pris l’habit religieux, sa sœur Sainte Sceve, qui avait également voué sa virginité dès sa jeunesse, et une bonne veuve du nom de Malhelew, qui se dévouait au service des religieux en lavant leurs draps et en s’occupant des ustensiles de l’église et des autres tâches ménagères du monastère.
Ils se dirigèrent vers le port le plus proche où ils trouvèrent un vaisseau équipé de tout ce dont ils avaient besoin. À bord se trouvaient des jeunes gens bien disposés, dont l’un, apparemment le maître et capitaine des autres, salua le saint et lui dit : “Que Dieu vous garde, homme de Dieu, ainsi que toute votre compagnie. Montez à bord à l’heure convenue, sinon nous vous attendions depuis longtemps pour vous emmener en Bretagne Armorique.” Les saints montèrent à bord, les ancres furent levées, et les voiles furent hissées au vent. Le vent fut si favorable que le lendemain, à trois heures de l’après-midi, ils atteignirent la côte de Léon en toute sécurité et débarquèrent sur la presqu’île de KerMorvan, devant le Conquet, dans la paroisse de Plou-Moguer. Aussitôt, le vaisseau qui les avait transportés disparut, avec tout son équipage et son attirail, si subitement qu’ils ne s’en rendirent pas compte. Ils comprirent alors que c’était une faveur spéciale de Dieu, qui leur avait fait miraculeusement traverser la Manche, et ils rendirent grâce à Sa divine Majesté.
Après avoir remercié Dieu pour cette faveur, Tugdual s’informa à qui appartenaient ces terres. Il apprit que c’était la propriété du Seigneur de Léon. Il se rendit donc à la ville d’Occismor (l’ancien nom de la capitale de Léon, qui est aujourd’hui Saint-Paul-de-Léon) pour demander au seigneur un endroit où il pourrait construire un petit monastère pour lui et ses religieux.
En entrant dans la ville, il aperçut un pauvre homme boiteux, extrêmement affaibli par la maladie, à tel point qu’il n’avait plus que la peau sur les os. Le pauvre homme lui demanda l’aumône de sa voix la plus faible. Saint Tugduval lui donna l’aumône et, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, lui ordonna de se lever en bonne santé. Le miracle se produisit, et le pauvre homme, désormais guéri, parcourut les rues et les carrefours de la ville, déclarant à tous son rétablissement miraculeux grâce à l’intervention de ce saint homme qui lui avait rendu la santé.
Le Seigneur de Léon, accompagné des notables de la ville, vint à sa rencontre et l’accueillit avec grand honneur et respect. Il accéda à sa demande et lui octroya autant de terre qu’il lui en fallait pour construire son monastère, se recommandant à ses prières.
Saint Tugdual retourna vers ses compagnons et commença à construire son monastère dans une petite vallée, à un quart de lieue du Conquet (probablement la presqu’île de KerMorvan). Là, où se trouve encore aujourd’hui l’église paroissiale appelée Tré-Pabu, jadis le monastère de Land-Pabu. Ce nom provient du fait que les Bretons, autrefois, appelaient Saint Tugduval “Papu” pour la raison que nous avons évoquée précédemment.
Saint Tugdual évangélise la Bretagne.
Une fois le monastère achevé, le saint y demeura longtemps avec ses confrères, vivant dans une grande austérité et recueillement. Cependant, leur nombre augmentait chaque jour, car de nombreuses personnes, impressionnées par leur exemple, rejoignaient leur communauté. Le saint décida alors de prendre congé de ses frères et, accompagné de nombreux religieux, entreprit un voyage à travers la province, prêchant dans toutes les villes qu’il traversait. Dieu confirmait sa doctrine par de grands miracles, et partout où il passait, les malades, sourds, aveugles, boiteux, paralytiques et autres personnes se rassemblaient sur son chemin pour recevoir la guérison, que le saint leur accordait à tous.
Au cours de ce voyage, il donna une grande édification par sa vie exemplaire et ses enseignements, si bien que les seigneurs lui accordèrent de grands biens et revenus. Il acceptait ces dons pour les distribuer aux pauvres et pour édifier des monastères, les doter et les développer. Les religieux de son monastère de Land-Pabu, qui était le siège et le principal de son ordre, peuplèrent ces nouvelles fondations. En peu de temps, l’ordre s’étendit de manière considérable. Selon les écrits de Saint Loëvan, son disciple et compagnon dans ce voyage, qui a tenu un registre de tous les dons qui lui ont été faits et des monastères qu’il a fondés, il y avait à peine une paroisse, depuis le bas Léon jusqu’à l’autre extrémité de la province, sans qu’il y ait un monastère ou au moins un hospice de son ordre.
Enfin, après avoir parcouru toute la Bretagne, le bruit des miracles qu’il accomplissait parvint aux oreilles du prince Deroch, fils de Rivallon Murmaczon et frère de sainte Pompsea, la mère de saint Tugdual. À cette époque, Deroch était le roi du pays qu’ils appelaient Domnonée. Le prince se rendit donc auprès de Saint Tugdual et l’emmena avec lui, lui promettant de lui choisir un emplacement convenable dans ses terres pour y construire un grand monastère où il pourrait se retirer avec le nombre de religieux de son choix. En effet, le monastère de Land-Pabu, construit rapidement, était petit, étroit et peu pratique. Le roi Deroch le fit démolir et reconstruire entièrement, plus grand et spacieux.
Saint Tugdual continua son chemin et arriva dans une vallée appelée alors Traoizn-Trecor, qui correspond à la ville de Land-Treguer, siège de l’évêché de Tréguier. Il trouva cet endroit très commode et agréable, avec un beau port de mer. Il décida de s’y arrêter et de construire un grand monastère qui deviendrait le siège principal de son ordre et des autres monastères qu’il avait fondés.
Saint Tugdual fonde un monastère à Tréguier.
Il en parla au roi Deroc, qui envoya des ouvriers de toutes parts et finança tous les frais nécessaires à la construction du monastère. En attendant que l’église soit construite, Saint Tugduval avait fait ériger une petite chapelle dans laquelle il célébrait la messe et donnait des exhortations à ceux qui venaient le visiter. Non loin de là, il y avait un dragon qui sortait parfois de sa caverne pour dévorer hommes, femmes, enfants et bétail. Ce territoire était devenu désert, les terres étaient laissées en friche et infructueuses, personne n’osant y habiter par peur de cette créature.
Les propriétaires de ces terres vinrent trouver le saint et lui exposèrent les dommages que ce dragon leur causait, tant sur leurs personnes que sur leurs biens. Saint Tugduval les consola et, le lendemain, après avoir célébré la messe et revêtu ses ornements sacerdotaux, il prit la croix en main et se fit conduire à la caverne du dragon. Là, il lui ordonna de sortir, lui attacha son étole autour du cou et le traîna ainsi jusqu’à un rocher. De là, il lui commanda de se précipiter dans le bras de mer qui battait au pied du rocher, ce qu’il fit, et depuis lors, on ne l’a jamais revu. Le dragon fut ainsi vaincu grâce à la puissance divine et à l’intervention de Saint Tugdual.
Une fois le monastère de Trecor terminé, Saint Tugdual s’y installa et rassembla un grand nombre de religieux qu’il gouverna avec une grande sainteté, suscitant l’admiration de toute la région. Quelques années plus tard, après le décès de l’évêque de Lexobie (Saint-Michel-en-Grève) ou de Coz-Giieaudel du nom de Tiridranus, le clergé et le peuple se réunirent pour élire un nouveau prélat. D’un commun accord, ils choisirent Saint Tugdual et envoyèrent deux personnes qualifiées pour lui présenter l’élection et le convaincre d’accepter cette charge. Ces délégués se rendirent au monastère de Trecor, situé à six lieues de leur ville, et informèrent le saint qu’il avait été élu pour être leur pasteur, le suppliant d’accepter cette dignité à laquelle Dieu l’appelait par leur suffrage.
Cependant, le saint, véritablement humble, se considérant indigne de cette charge, les renvoya avec une déclaration qu’il n’accepterait jamais cette responsabilité. Pour les en dissuader complètement, il quitta son monastère en compagnie de deux de ses religieux et se rendit à Angers pour rendre visite à saint Aubin. Déterminé à se rendre jusqu’à Paris et à voyager à travers la France, il attendait que les habitants de Lexobie aient élu un nouvel évêque. Saint Tugdual souhaitait ainsi éviter de devenir évêque malgré l’appel du peuple et du clergé, affirmant avec humilité qu’il se considérait indigne de cette fonction.
Saint Tugdual visite le roi de France et accomplit, grâce à Dieu, des miracles.
Saint Aubin fut extrêmement ravi de son arrivée et l’hébergea dans son manoir. Après avoir passé quelques jours en sa compagnie, il l’accompagna à Paris. Là, à l’entrée de la ville, Dieu manifesta les mérites de son serviteur en ressuscitant un mort que l’on portait en terre. Après avoir prié, Saint Tugduval lui commanda, au nom de Jésus-Christ, de se lever, et il obéit en retournant chez lui, remerciant Dieu et son serviteur Tugduval pour ce miracle. Lorsque ce miracle fut connu, on présenta à Saint Tugdual un jeune gentilhomme paralysé couché sur une litière, et il le guérit de sa paralysie.
Saint Tugdual se rendit ensuite auprès du roi de France pour le saluer, et toute l’assistance put clairement apercevoir le Saint-Esprit, sous la forme d’un pigeon blanc radieux, se posant sur son épaule droite. Ce prodige renforça grandement la réputation du saint auprès de la cour.
Cependant, les Bretons de Lexobie ne procédèrent pas à une autre élection pour un nouvel évêque, mais se tournèrent vers le roi Deroc. Sous un prétexte d’importance, le roi Deroc convoqua le saint. Après avoir pris congé du roi de France, Saint Tugdual revint en Bretagne et se rendit à la cour du roi Deroc. Ce dernier le pressa tant et le fit tellement insister par ses religieux que, craignant de contredire l’appel divin, le saint consentit finalement à devenir évêque.
Saint Tugdual accepte de devenir évèque de Tréguier.
Le siège de l’évêché de Tréguier n’était pas à l’emplacement actuel, mais situé six lieues plus bas, vers l’ouest, à l’endroit appelé Ar-Cozqueaudet, à la pointe de la rivière du Leguer, sur le rivage de la paroisse de Plou-Lech, à deux lieues de la ville de Lannion, où l’on peut encore voir les ruines des murs de l’ancienne Lexobie. Saint Tugduval se rendit dans la banlieue de la ville où on lui avait préparé un logement en attendant la magnifique réception qui lui était préparée pour le lendemain. Cependant, le saint ne voulut pas loger dans ce logement qu’on lui avait désigné, encore moins au palais du roi Deroc. Méprisant les délices, il préféra loger chez un honnête personnage qui le reçut comme un ange du ciel et lui offrit la meilleure hospitalité possible.
Pendant qu’ils étaient à table, le saint remarqua un jeune garçon couché dans un coin de la chambre, gravement malade au point de ne pouvoir se tenir debout. Pris de compassion, Saint Tugdual lui commanda de se lever et d’aller en ville chercher ce dont son maître avait besoin. Le jeune garçon obéit, et depuis lors, il se porta bien, ce qui étonna grandement ceux qui l’avaient vu dans un état si maladif.
Le lendemain, Saint Tugdual fit son entrée solennelle dans la ville et fut sacré dans la cathédrale en présence du roi, de la reine et de toute la cour, qui purent voir les anges servir à l’autel. La réputation et la sainteté de Saint Tugduval étaient devenues si éclatantes que même à la cour du roi Deroc, son élection en tant qu’évêque suscita un grand émerveillement.
Saint Tugdual demeure humble, pauvre et charitable.
Sa nouvelle dignité d’évêque n’entraîna aucun relâchement dans ses exercices et ses austérités habituelles. Il ne changea ni son habit monacal, ni son mode de vie, ni ses biens matériels; il conserva scrupuleusement la pauvreté qu’il avait professée. Il jeûnait presque continuellement, son oraison était ininterrompue, et sa charité se manifestait en accueillant, hébergeant et traitant les pèlerins et les étrangers, en visitant les malades, les captifs et les affligés. Il se rendait infatigable pour prêcher la parole de Dieu et instruire son troupeau, agissant ainsi comme un bon pasteur envers ses brebis.
D’autre part, Dieu le rendait vénérable à tous par les miracles qu’il accomplissait par son intermédiaire. Une fois, lorsqu’il visitait la paroisse de Land-Meur (qui n’était pas encore rattachée à Dol), il vit une femme enceinte qui portait avec beaucoup de difficulté une cruche d’eau sur sa tête, puisée d’une profonde vallée, dont la montée était escarpée et difficile. Touché par sa peine, il lui demanda de l’eau à boire après qu’elle fut arrivée au sommet de la colline et qu’elle eut posé sa cruche par terre pour reprendre son souffle. La femme lui accorda de l’eau, qu’il prit dans le creux de sa main, puis la versa à terre, et aussitôt une belle fontaine jaillit à cet endroit.
Lorsque son peuple fut affligé par une grande épidémie, il eut recours à lui. Saint Tugduval ordonna des processions et des jeûnes, apaisant ainsi la colère de Dieu et libérant la population de ce fléau. Sa sainteté, ses enseignements, et les miracles qu’il accomplissait attiraient de plus en plus de fidèles, qui se tournaient vers lui pour trouver réconfort, guérison, et espérance.
Le diable inspire de sinistres comploteurs.
L’ennemi du genre humain, furieux du fruit que le Saint faisait dans son diocèse et du nombre d’âmes qu’il convertissait, suscita des individus malveillants pour le traverser et le persécuter sans merci. Saint Tugdual supportait patiemment les injures lorsqu’elles ne touchaient que sa personne privée. Cependant, lorsqu’on attaquait l’honneur de Dieu ou les immunités de son Église, il s’opposait de toutes ses forces. Pour réprimer l’audace de certains nobles obstinés et éliminer le scandale, il dut user du glaive de l’anathème et les exclure de la communion des fidèles. Mais cela ne fit qu’augmenter leur rancune et leur désir de nuire au Saint, et ils complotèrent sa chute.
Un soir, après les matines, lorsque les chanoines et les moines se retirèrent, il entra en méditation, se demandant s’il devait se soumettre à la pression du temps et s’absenter ou rester dans son diocèse. C’est alors que Dieu lui fit connaître sa volonté par une voix intelligible, lui commandant de se rendre à Rome pour visiter les saints lieux. Le saint prélat remercia Dieu de cette faveur et, dès le lendemain, il partit en cachette avec deux de ses religieux, accomplissant plusieurs miracles en chemin.
Son absence provoqua une joie sans pareille chez ses ennemis, mais, à l’inverse, une grande tristesse parmi les gens de bien et un désastre public et général dans tout le diocèse. Le ciel courroucé déversa ses fléaux et ses châtiments ; la terre devint extraordinairement stérile, ne produisant ni fruits pour les hommes ni herbes pour les bêtes. Les femmes et les bêtes devinrent stériles également. Une cruelle famine s’abattit sur la région, emportant plusieurs milliers de vies et plongeant le peuple dans la misère. De là naquit une épidémie qui se répandit rapidement, emportant un grand nombre de vies.
Il semblait que Dieu avait retiré complètement sa paternelle Providence de ce seul évêché, alors que le reste de la Bretagne prospérait.
Saint Tugdual vit deux ans à Rome.
Cette calamité, qui dura deux ans entiers pendant l’absence du Saint, leur ouvrit les yeux et leur fit reconnaître leur ingratitude et leur faute d’avoir agi ainsi, leur offrant ainsi l’occasion de le ramener. Ils organisèrent des processions et des pénitences publiques pour apaiser la colère de Dieu, et décidèrent d’envoyer des messagers dans toutes les directions pour chercher leur saint Pasteur et le ramener.
Quand Saint Tugdual arriva à Rome, il visita les Lieux Saints et y séjourna pendant deux ans. Une nuit, pendant qu’il priait, un ange lui apparut et lui commanda de le suivre. L’ange le conduisit hors de la ville, et les portes et les barrières s’ouvrirent d’elles-mêmes. Il lui présenta un cheval blanc et lui ordonna d’aller résider dans son évêché, puis disparut. Ce cheval miraculeux le porta légèrement dans les airs, et au lever du jour, il se trouva sur une petite colline avec vue sur son Monastère de Trecor. Descendant du cheval, ce dernier, entouré d’une lumière éclatante, monta visiblement au ciel. En mémoire de cette merveille, une église fut construite au même endroit en l’honneur des saints anges, et elle s’appelle encore aujourd’hui CrechMikel, ce qui signifie “colline de Michel”.
En même temps, ses Religieux du val de Trecor eurent une révélation spéciale de l’arrivée de leur saint prélat. Ils allèrent à sa rencontre pour l’emmener au Monastère, où il séjourna deux jours avant de se rendre à Lexobie. Le clergé et tout le peuple vinrent à sa rencontre et se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de leur ingratitude et lui demander sa bénédiction.
Retour providentiel dans son évèché
Les effets bénéfiques de son retour furent immédiats : Dieu retira ses fléaux du peuple, la contagion cessa et la terre devint fertile. En peu de jours, d’une extrême misère et pauvreté, ils passèrent à une heureuse abondance et fécondité. Saint Tugdual vécut dans sa ville de Lexobie, gouvernant son troupeau jusqu’à un âge avancé.
Enfin, affaibli par ses austérités et les années qui passèrent, il sentit que la fin de sa vie approchait. Il désira mourir entre les mains de ses frères, c’est pourquoi il se fit porter au Monastère de Trecor. Là, étant tombé malade, il reçut la visite de ses Religieux qu’il avait fondés dans divers endroits de Bretagne. Les chanoines de Lexobie se rendirent également auprès de lui dès qu’ils eurent appris la maladie de leur saint Pasteur. Il les consola et les pria d’élire un successeur, désirant savoir à qui il laissait la charge de son cher troupeau avant de mourir. Cependant, ils refusèrent de le faire, lui demandant de nommer celui qu’il jugerait le plus apte à cette dignité, à qui ils obéiraient comme à leur légitime Prélat.
Saint Tugdual accepta leur requête et se rendit à l’Église avec eux, soutenu par deux de ses moines tant il était faible. Ils invoquèrent la grâce du Saint-Esprit, puis il nomma son disciple Ruelin, à qui ils acquiescèrent, à l’exception de l’archidiacre nommé Pergatus, qui aspirait également à cette dignité mais qui se retint pour l’instant, ne pouvant faire autrement.
L’élection étant faite et confirmée, le Saint reçut la communion, ses forces déclinant, il reçut l’Extrême-Onction. Puis, après avoir béni les assistants, il entra dans l’agonie de la mort, qui dura le reste du jour et la nuit suivante, jusqu’au point du jour du dimanche 30 novembre, fête de Saint André, où il rendit son âme à son Créateur. À ce moment, une agréable odeur emplit le Monastère, et une harmonie céleste fut clairement entendue, accompagnant son âme dans le Ciel.
Son corps, dépouillé de son cilice et lavé, fut revêtu de ses ornements pontificaux et enseveli au Monastère, près du grand autel, aux pieds de deux de ses disciples, qui décédèrent peu de temps après lui.
Les funérailles étant terminées, les chanoines retournèrent à Lexobie, se préparant à la réception et au sacre de leur nouveau évêque Ruelin. Cependant, le diable, qui cherche à semer la discorde dans l’Église, incita l’archidiacre Pergatus (qui avait dissimulé ses intentions jusqu’alors) à prendre la place de Ruelin et à s’autoproclamer évêque. Il gagna certains membres du clergé à sa cause, car il était un homme très érudit, éloquent et issu d’une bonne famille, mais ambitieux à l’excès.
Face à ce schisme, un synode fut convoqué à Lexobie, réunissant les ecclésiastiques les plus habiles et savants de tout le diocèse, dans le but de décider de ce différend et de régler cette affaire d’une grande importance. Alors que les participants étaient installés dans la salle épiscopale et que la question était sur le point d’être exposée, une grande lumière remplit soudainement la pièce, éblouissant presque les regards des personnes présentes. Saint Tugdual apparut alors au milieu d’eux, revêtu de ses habits épiscopaux et portant une riche mitre sur la tête. S’adressant directement à l’archidiacre Pergatus, il le réprimanda sévèrement pour le trouble qu’il causait dans l’Église par son ambition. Il le mit en garde en lui disant que s’il ne renonçait pas à ses intentions perverses, il subirait bientôt une punition exemplaire.
Après avoir prononcé ces paroles, saint Tugdual disparut, laissant Pergatus terrifié et plein d’appréhension, à genoux par terre. Revenant à lui, il demanda pardon à l’évêque Ruelin et à toute l’assemblée, qui rendit grâce à Dieu et au saint confesseur pour cette intervention miraculeuse.
Des miracles post mortem
Peu de temps après le décès de saint Tugduval, de nombreux miracles se produisirent à son tombeau, ce qui conduisit à l’élévation de ses reliques du sol et à leur honorable conservation dans le trésor de la cathédrale. Martin, soixante-dixième évêque de Tréguier, homme d’une vie sainte, avait une dévotion particulière envers ce saint et avait enchâssé certaines de ses reliques dans sa croix pectorale.
En l’an 715, alors qu’il effectuait une visite de son diocèse, il logea chez un honnête homme du nom de Brelinguet, dans la paroisse de Plou-Igné, près de Morlaix, qui lui réserva un accueil chaleureux. Pendant le repas, un incendie éclata dans la maison et se propagea si rapidement que, avant même qu’on s’en rende compte, il avait déjà envahi tout le logis, les flammes étant si violentes que l’eau ne suffisait pas à les éteindre. Face à ce désastre, l’évêque, voyant que les efforts humains étaient vains, prit les reliques de saint Tugduval, fit apporter un seau d’eau, qu’il bénit avec ces reliques, et ordonna de le verser sur les flammes. Aussitôt, le feu s’éteignit complètement, au grand étonnement de tous les témoins présents.
Les reliques sont protégées de la méchanceté d'un prince viking.
Ces saintes reliques demeurèrent en Bretagne, certaines à Lexobie et d’autres au Monastère de Trecor, jusqu’en l’an 836, lorsque Hasting, prince des Danois, une nation barbare et idolâtre, arriva avec une grande flotte à l’embouchure du Leguer. Après avoir débarqué son armée, il assiégea et prit d’assaut la ville de Lexobie, la pillant et la brûlant. L’évêque Govaranus s’échappa en emportant avec lui les reliques et le trésor de son église. En passant par le Monastère de Trecor, il emporta également les reliques de saint Tugduval en France, dont la plupart furent transférées à Chartres, où la relique principale de la tête est encore vénérée aujourd’hui.
Les Danois continuèrent leur progression et arrivèrent à l’embouchure de la rivière de Jaudg, où ils pillèrent et détruisirent le Monastère de Trecor. Ils décidèrent de s’installer dans cette région en raison de son agréable situation et de son beau port. Ils y établirent une colonie et construisirent une petite forteresse pour se défendre contre les attaques surprises des Bretons. Le reste de cette colonie est représenté aujourd’hui par une vieille tour carrée, située sur la grande église, toujours connue sous le nom de “tour de Hasting”. Dans cette tour, étaient autrefois gravés de vieux vers latins relatant la prise du monastère par les Danois.
Cette colonie danoise resta à Trecor jusqu’en 855, lorsque le roi Neomene les chassa et y établit le siège épiscopal qui avait précédemment été à Lexobie. Il fit venir l’évêque Gratianus et consacra une église en l’honneur de Saint André, l’apôtre, et de Saint Tugduval, qui servit de cathédrale jusqu’à l’achèvement de la grande église que l’on voit aujourd’hui.
Après l’expulsion des Danois, Trecor commença à être habité par des marchands en raison de la commodité de son port et fut alors appelé Ilis-Treguer, signifiant “Église de Treguer” en breton, car le mot “Ilis” désigne une église et “Treguer” était le nom commun de tout le diocèse. À cette époque, un saint personnage du nom de Bruns arriva à Land-Treguer, accompagné de quelques autres personnes. Ils désiraient servir Dieu dans une plus grande perfection et avaient quitté la Grande-Bretagne, leur pays d’origine. Après s’être arrêtés quelques jours en ville, ils visitèrent les ruines du monastère de Trecor. Trouvant l’endroit solitaire et approprié à leur dessein, ils demandèrent à l’évêque Gratianus la permission de le reconstruire, ce qui leur fut accordé. De plus, ils reçurent de généreuses aumônes des seigneurs et gentilshommes des environs, ce qui contribua grandement à l’avancement des travaux.
Une fois que les murs et les pignons furent achevés, le maître architecte monta sur les échafaudages pour prendre des mesures en vue de l’emboisement. Cependant, il fit une fausse démarche et tomba du faîte de l’édifice. Voyant leur maître chanceler, les assistants le vouèrent à saint Tugdual. À leur grande surprise, quand il arriva au sol, il se tenait debout sur ses deux pieds sans aucune blessure. Cet événement fut immédiatement attribué à la singulière protection de saint Tugdual, étant donné la hauteur de la chute.
Ainsi, le saint personnage Bruns et ses compagnons entreprirent la reconstruction du monastère de Trecor avec l’aide divine et la protection de saint Tugdual.
Des pélerins en foule pour honorer Saint Tugdual
Après la construction du monastère dédié par l’évêque Gratianus et l’installation des reliques du saint prélat en partie dans ce monastère et en partie dans la cathédrale, le peuple venait en masse à Land-Treguer pour visiter les reliques de Saint Tugdual le jour de la Pentecôte de l’année 841. Alors que les gens traversaient le passage sur la rivière de Guindy, entre la ville et le monastère de Saint-François, le passage se chargea excessivement de personnes, et le bateau coula avec ceux qui attendaient de l’autre côté, attendant le retour du bateau. Voyant ce triste accident, les pèlerins recommandèrent leur sort à Saint Tugduval, et miraculeusement, ils se relevèrent tous sur l’eau et regagnèrent le bateau sains et saufs, remerciant Dieu et leur saint libérateur. Seul un jeune garçon manquait, mais son corps fut retrouvé sur la vase après que la mer se fut retirée. Il fut porté à l’église pour y être inhumé. Ses parents, extrêmement attristés par cet accident, murmurèrent contre le saint et l’accusèrent d’avoir tué leur fils. Ils déclarèrent qu’ils ne visiteraient plus jamais son église et feraient tout en leur pouvoir pour dissuader les autres de s’y rendre. Le sacriste, voyant leur désespoir, prit respectueusement les reliques de Saint Tugduval et fit le signe de la croix sur la bouche du défunt. De l’eau salée s’écoula alors de sa bouche, et le jeune garçon se leva en pleine santé, louant Dieu et le saint prélat qui lui avait rendu la vie qu’il avait perdue.
Plus tard, lors des dissensions et guerres civiles entre les barons de Bretagne après le massacre de saint Salomon, le dernier roi de Bretagne, les Danois retournèrent en Bretagne en 878. Pour échapper à leur rage et à leur fureur, les reliques furent transportées en France, et les reliques de Saint Tugduval furent à nouveau transportées à Chartres, où sa tête est toujours vénérée.