Saint Corentin

par Arnaud
Saint Corentin, évèque de Quimper, au Vème siècle

Saint Corentin, le premier évêque de Cornouaille, en Bretagne armoricaine, est né dans le même diocèse vers l’an 375, treize ans avant que le tyran Maxime n’envahisse la Gaule. Dès son enfance, il fut instruit par ses parents dans la religion chrétienne et, par une grâce et une protection spéciales de Dieu, il fut préservé pendant les guerres menées par le roi Conan Meriadec contre les garnisons romaines, que celui-ci chassa entièrement de Bretagne. Il se consacra alors pleinement au service de Dieu et, pour mieux s’y dédier et se détacher du monde, il se retira dans la solitude, dans une forêt près de la paroisse de Plomodiern, au pied de la montagne de Saint Cosme (Le Menez Hom). Là, il construisit un petit ermitage près d’une fontaine et passa ses jours et ses nuits en prières et oraisons, vivant inconnu et retiré de toute conversation humaine, mais aimé et consolé par Dieu, qui n’oublie jamais ceux qui, par amour pour lui, renoncent à toutes choses. Saint Corentin fut fortifié par la grâce de Dieu contre les attaques et les tentations de ses ennemis et comblé de ses célestes et divines faveurs.

Pour sa nourriture et sa sustentation dans cette solitude, Dieu opérait un admirable et continuel miracle. Bien qu’il se contentât de quelques morceaux de gros pain qu’il mendiait parfois dans les villages voisins et de quelques herbes et racines sauvages que la terre produisait naturellement, sans aucun travail ni intervention humaine, Dieu lui envoyait chaque matin un petit poisson dans sa fontaine.

Enclos paroissial de Sainte-Marie-du-Menez-Hom

La vie de Saint Corentin*

Le poisson se présentait toujours devant le Saint, qui en coupait une portion pour sa pitance, puis le rejetait dans l’eau. Miraculeusement, le poisson restait entier, sans aucune blessure, et il se représentait à Saint Corentin tous les matins, qui faisait de même à chaque fois. En même temps, vivait dans une forêt en Cornouaille un saint prêtre solitaire nommé Primael ou Primel, qui menait une vie très sainte.

Un jour, Saint Corentin décida de rendre visite à Saint Primael pour recevoir de lui des instructions bénéfiques. Saint Primael le reçut gracieusement et les deux saints passèrent le reste de la journée à échanger des propos saints et des conversations spirituelles. Durant la nuit suivante, ils prièrent et firent des oraisons ensemble. Le matin, Saint Corentin exprima le désir de célébrer la messe dans l’oratoire de Saint Primael. Ce dernier lui prépara tout ce qui était nécessaire et s’en alla chercher de l’eau à une fontaine assez éloignée de son ermitage. Saint Corentin, l’attendant depuis un moment, finit par sortir de la chapelle et vit venir le saint vieillard tout doucement et à petits pas, à cause de la distance de la fontaine et de sa boiterie. Compatissant à sa fatigue, Saint Corentin supplia Notre Seigneur de lui accorder de l’eau plus proche de son ermitage. Après avoir dit la messe et réitéré sa prière, Dieu exauça sa demande : au moment où il planta son bâton en terre, une source d’eau jaillit, ce qui émut les deux saints qui remercièrent Dieu pour ce miracle. Après avoir passé quelques jours avec Saint Primael, Saint Corentin retourna à son ermitage à Plomodiern.

Saint Corentin vit en ermite au pied du Menez Hom.

Bien qu’il cherchât à se soustraire à la compagnie et à la conversation des hommes, il ne put se cacher à tel point que la réputation de sa sainteté ne se répandit dans toute la Bretagne. Deux personnages de grande sainteté vinrent donc le visiter dans son ermitage, et Saint Corentin les accueillit très humblement. Pour les recevoir dignement, il leur prépara des crêpes à la manière du pays, en utilisant un peu de farine qu’on lui avait donnée en aumône dans les villages voisins. Dieu, qui ne délaisse pas ceux qui ont placé toute leur espérance en lui, pourvut miraculeusement à la nourriture de ses serviteurs. Alors que Saint Corentin allait puiser de l’eau à la fontaine, il la trouva remplie de belles et grosses anguilles, dont il prit autant qu’il en avait besoin pour régaler ses hôtes. Ces derniers partirent en louant Dieu, qui témoignait ainsi par des miracles si éclatants de la sainteté de son serviteur, Saint Corentin.

Chapelle Sainte-Marie-du-Menez-Hom

En ce temps-là, le roi Grallon, qui avait succédé à Conan Meriadek, résidait avec toute sa cour dans la ville de Quimper, capitale du comté de Cornouaille. Un jour, lorsqu’il était parti à la chasse, il s’enfonça dans la forêt de Nevel (qui n’existe plus), dans la paroisse de Plou-Vodiern, près de l’ermitage de Saint Corentin. Après avoir chassé toute la journée, en fin de journée, il se perdit dans la forêt et finit par se retrouver près de l’ermitage du Saint, accompagné d’une partie de ses gens qui avaient tous très faim. Ils descendirent et s’adressèrent au Saint Ermite, lui demandant s’il pouvait les aider en leur fournissant de la nourriture. “Oui”, répondit-il, “attendez un instant, et je vais vous en chercher.”

Le miracle du poisson multiplié

Il se rendit à sa fontaine où son petit poisson se présenta à lui. Il coupa un morceau du dos du poisson et le donna au maître d’hôtel du roi en lui disant de le préparer pour le roi et les seigneurs de sa suite. Le maître d’hôtel se mit à rire et se moqua du Saint en disant qu’une centaine de fois cette quantité ne suffirait pas pour nourrir toute la cour du roi. Cependant, contraint par la nécessité, il prit ce morceau de poisson, et de manière étrange, il se multiplia à tel point que le roi et toute sa suite furent largement rassasiés.

Le roi, ayant vu ce grand miracle, désira voir le poisson duquel le Saint avait coupé ce morceau et alla à la fontaine où il le vit, sans aucune blessure, dans l’eau. Cependant, quelqu’un d’imprudent (selon la Prose, qui est chantée lors de la fête du Saint) décida de couper une partie du poisson pour voir s’il redeviendrait entier. Cette personne fut blessée par le poisson, mais Saint Corentin intervint, le guérit par sa bénédiction, et lui ordonna de partir de là, afin d’éviter un accident similaire, ce qu’il fit.

Le roi Grallon, émerveillé par ces prodiges, se prosterna aux pieds du saint ermite et lui offrit toute la forêt ainsi qu’une maison de plaisance qu’il possédait dans la paroisse de Plou-Vodiern. Puis, après s’être recommandé à ses prières, il retourna à Quimper. Saint Corentin transforma cette maison que le roi lui avait offerte en un monastère, où, ayant rassemblé de nombreux saints religieux, il vécut dans une grande sainteté et austérité.

Le Saint, conscient de l’importance pour le bien de la république que les enfants des seigneurs et gentilshommes soient élevés dès leur jeune âge et formés à la vertu, prenait soin de les instruire. À cette fin, il avait un certain nombre de pensionnaires dans son monastère, parmi lesquels les plus remarquables furent Wennolé, Tugdin et Jacut, qui devinrent par la suite abbés de trois célèbres monastères.

Saint Corentin est nommé évèque par le roi Gradlon.

Quelque temps plus tard, le roi Grallon fut supplié par les seigneurs et tout le peuple de procéder à l’érection d’un évêché à Quimper, pour le comté de Cornouaille. Le roi accepta la requête, fit toutes les démarches nécessaires, nomma Saint Corentin à cette nouvelle charge épiscopale et l’envoya à Tours auprès de Saint Martin, archevêque de cette ville, pour y être sacré. Il choisit également Wennolé et Tugdin pour être bénis comme abbés de deux monastères qu’il souhaitait édifier. Ils furent gracieusement reçus par le saint archevêque, qui consacra Saint Corentin conformément aux lettres du roi. Cependant, il refusa de bénir les deux autres, arguant que c’était à lui de bénir les abbés de son diocèse. Une fois leur mission accomplie, les saints retournèrent à Quimper, où le roi, accompagné de toute sa cour, les accueillit. Une entrée épiscopale solennelle fut organisée pour Saint Corentin, qui prit possession de son siège et célébra la messe de manière pontificale.

Lors de l’offrande, le roi fit don à Dieu et au saint prélat de son palais situé à Quimper, ainsi que de nombreuses terres et possessions. Les princes et seigneurs de la cour firent de même, en suivant l’exemple du roi, chacun selon ses moyens et ses possibilités. Le lendemain, Saint Corentin bénit solennellement ses deux saints disciples, les abbés, en désignant Wennolé pour le monastère de Landévennec, que le roi Grallon fonda peu de temps après.

Ce pieux prince, insatisfait des dons qu’il avait déjà offerts au saint évêque, fonda la cathédrale de Quimper et attribua de nombreux revenus aux chanoines. Pour permettre à la ville d’être libre pour Saint Corentin, il déplaça sa cour vers la célèbre ville d’Ys.

Chapelle Notre-Dame des Victoires dans la cathédrale Saint-Corentin à Kemper (Quimper)

Saint Corentin, conscient que cette nouvelle dignité exigeait de lui une nouvelle sollicitude, se mit à cultiver son diocèse avec zèle. Il ordonna de nombreux personnages vertueux qu’il instruisait pour en faire des recteurs de son diocèse. Il visita chaque paroisse et trève, prêchant partout avec un zèle admirable, tant par l’exemple que par la parole, sans relâcher ses austerités habituelles.

Ayant saintement gouverné son troupeau pendant plusieurs années, Dieu voulut récompenser ses efforts et lui envoya une maladie qui l’affaiblit considérablement. Prévoyant que l’heure tant désirée approchait, il fit venir tous ses chanoines et religieux, les exhortant à l’amour de Dieu et à persévérer dans leur vocation. En leur présence, il reçut les sacrements et, après leur avoir donné sa bénédiction, il remit son âme bénie entre les mains de son Créateur le 12 décembre de l’an 401.  [note du traducteur: Cette date donnée par Albert Le Grand est étonnante et semble peu crédible.]

Son corps fut lavé et revêtu de ses ornements pontificaux, puis porté dans sa cathédrale. Lorsque le décès de Saint Corentin fut connu dans les régions environnantes, une si grande affluence de peuple se rendit à Quimper pour voir son corps et le baiser qu’on ne put l’enterrer aussi rapidement qu’on l’avait prévu. Les malades qui s’y rendaient étaient guéris; les muets, les sourds, les boiteux, les aveugles y recouvraient l’usage de leurs membres, et les possédés par des démons étaient délivrés. De nombreux autres miracles se produisirent en témoignage de sa sainteté.

Le roi Grallon, qui s’était rendu à Quimper lorsque la maladie de Saint Corentin fut connue, assista avec sa cour à ses funérailles, qu’il fit célébrer avec autant de pompe et de magnificence que s’il s’agissait de ses propres obsèques, en prenant en charge tous les frais. Il fut enterré dans le chœur de sa cathédrale, devant le grand autel, où Dieu accomplit plusieurs miracles par son intercession. Certains de ces miracles seront rapportés ici, à la gloire de Dieu et de son saint.

La mémoire de Saint Corentin fut si chère à ses concitoyens qu’ils donnèrent son nom à leur ville, l’appelant désormais “Kemper-Corentin” et non plus “Kemper-Odetz.”

Des actions surnaturelles de Saint Corentin, post mortem.

Une damoiselle, ayant reçu une faveur grâce aux mérites et à l’intercession de Saint Corentin, fit le vœu d’offrir une certaine quantité de cire à son église. Lorsqu’elle s’approcha de l’autel pour le présenter, le diable la tenta de retenir sa main, ce qu’elle fit. Cependant, sa main se ferma si fort qu’elle ne put la rouvrir, et elle fut punie immédiatement pour avoir rompu son vœu. Désespérée, elle supplia Saint Corentin de lui accorder la guérison. Une nuit, alors qu’elle priait avec ferveur, Saint Corentin lui apparut, glorieux et resplendissant, et lui dit de ne pas se dédire quand elle aurait promis quelque chose à Dieu ou à ses serviteurs, mais de l’accomplir fidèlement. Il lui demanda de se rendre à son église le lendemain et de prier devant son tombeau, promettant qu’elle serait guérie. Le lendemain, la femme pria au tombeau du saint, s’endormit et vit Saint Corentin lui annoncer qu’elle était guérie. En se réveillant, elle constata que sa main était de nouveau libre, et elle remercia Dieu et Saint Corentin pour sa guérison.

Un voleur fut frappé de paralysie après avoir volé, et il ne retrouva l’usage de ses membres que lorsqu’il eut rendu ce qu’il avait dérobé. Des méchants pénétrèrent par la violence dans la maison d’un honnête personnage, l’enfermèrent dans un coffre pour le laisser mourir de faim. Cet homme fit appel à Dieu par l’intermédiaire de Saint Corentin, qui apparut alors dans la chambre, brillant et glorieux. Avec le bout de sa crosse, il leva la serrure du coffre et libéra le pauvre homme, qui se rendit aussitôt à l’église pour remercier Dieu et Saint Corentin.

En l’an 1018, Alain Caignard, comte de Cornouaille, fut sur le point de devenir aveugle en raison d’une affection oculaire incurable selon les médecins. Sa femme, la comtesse Judith, fille de Judicaël, comte de Nantes, lui conseilla de faire un vœu à Saint Corentin et de promettre de donner des terres et des héritages à son église. Le comte suivit son conseil, fit dresser et signer les contrats de donation des terres et se fit transporter à Kemper-Corentin. Là, il visita l’église, pria et déposa les contrats sur l’autel, offrant à Dieu et à Saint Corentin les terres et héritages mentionnés. Immédiatement, son affection oculaire se dissipa et il ne souffrit plus de problèmes aux yeux.

Le corps de Saint Corentin resta à Kemper jusqu’en 878, lorsque les Normands envahirent la région de Cornouaille. Les chanoines et ecclésiastiques de Kemper se réfugièrent à Tours, emportant le trésor de leur église, y compris le corps de Saint Corentin, qu’ils placèrent dans l’église de Saint Martin. Plus tard, il fut transféré à Marmoutier, où il est vénéré avec respect.

* Selon l'hagiographe Albert Le Grand dans "La vie des saints de la Bretagne-Armorique". Traduit en français contemporain par Arnaud Chapin

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