Retable du XVII siècle dans l’église de Retiers

par Arnaud
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Avant de commencer cet article sur le retable du choeur de l’église Saint-Pierre à Retiers, je tiens à remercier chaleureusement l’Abbé Roger Blot, responsable diocésain du patrimoine religieux. Grâce à la connaissance dont il nous énrichit, notre regard change et découvre les merveilles enfouies dans nos églises.

Les retables en bois dans le choeur de l’église de Retiers représentent l’un des ensembles, en Bretagne, les plus imposants de l’époque de Louis XIV. Ils se distinguent par leur focus exclusif sur de vastes tableaux, sans la présence de statues. Ils furent incontestablement conçus après la reconstruction du chœur et du transept, période que Guillotin de Corson estime entre 1660 et 1673. Bien que ces dates ne puissent être vérifiées de nos jours, une pierre située sur le mur sud du transept porte effectivement l’inscription “1673” ainsi que les initiales “J.P.”, correspondant à Jacques Potier, qui fut recteur de Retiers de 1648 à 1707. C’est sous sa supervision que toutes ces améliorations du XVIIe siècle furent, vraisemblablement, entreprises.

Le retable en bois, supportant ces trois tableaux, semble avoir été érigé dans les années 1670. Il est surmonté d’une imposante couronne célébrant la gloire du Christ, qui ne trouve d’équivalent en Ille-et-Vilaine que dans l’ancienne abbatiale de Paimpont. À Retiers, les Anges qui portent cette couronne tiennent également dans leurs mains deux objets de la Passion, à savoir la lance et le roseau avec l’éponge. Le décor présente également des Aigles, symboles emblématiques de la grandeur sous le règne de Louis XIV. Aux bases des colonnes, on observe les figures de Jésus et de Marie, avec les monogrammes “IHS” (Iesus Hominum Salvator) et “MAR” inscrites dans le lambris. Aux bases des pilastres, d’imposants récipients destinés à la réserve d’hosties et de vin sont représentés. À l’origine, ce retable était bien plus coloré, mais il a pris sa teinte chocolat actuelle sous le Second Empire.

La Pentecôte de Nicolas de Plattemontagne (vers 1676)

Pentecôte Retable Retiers

C’est seulement depuis 2007 que l’on attribue le tableau central à Nicolas de Plattemontagne, qui était un disciple de Philippe de Champaigne et ami de son fils Jean-Baptiste. Il fut un collaborateur majeur aux côtés de son maître dans des projets d’envergure tels que le Val-de-Grâce et les Tuileries.

Le tableau de Retiers a un pendant daté de 1676, exposé au musée de Libourne. Il provient d’une chapelle de l’église Saint-Sulpice à Paris (partageant le même dessin et les mêmes couleurs, mais de dimensions plus réduites). Ainsi, on peut considérer que ces deux œuvres ont été créées simultanément dans le même atelier, vers 1676. Pour ce qui est de la commande, il est possible qu’elle provienne du chevalier Renaud de Sévigné, originaire des Rochers et oncle de Madame de Sévigné. En 1664, il avait offert à Port-Royal un tableau du Bon Berger de Philippe de Champaigne. Il se trouve qu’il est décédé en 1676.

Dans tous les cas, les 26 visages et les mains qui composent ces tableaux sont désormais sujets à un examen minutieux, d’autant plus que ce chef-d’œuvre a été choisi parmi les 26 plus belles peintures d’églises de Bretagne, présentées en 2017 à la chapelle Saint-Sauveur de Saint-Malo et en 2018 à Vannes. Grâce à l’éclairage zénithal et à la sobriété du décor, ces visages prennent une intensité remarquable.

Marie, considérée comme la mère de l’Église, rassemble au centre les Saintes femmes. Les postures des Apôtres en bas rappellent la Transfiguration et situent l’événement de l’irruption de l’Esprit comme une théophanie. Toutefois, la Pentecôte, cet événement surnaturel à la base de la fondation de l’Église est traité avec une certaine réserve : les personnages ne sont pas représentés avec des auréoles, et l’on a évité de représenter une colombe en vol dans le Cénacle, contrairement à ce qui est fait ailleurs.

La Remise des clés à Pierre, par Jean-Bernard Chalette (1678)

La peinture située à droite, illustrant la Remise des clés à Pierre, possède la particularité d’être signée et datée : J. Chalette, 1678. Cet artiste originaire de Rennes, fils du peintre officiel de Toulouse, a contribué aux décors du Parlement de Bretagne et n’est pas reconnu comme auteur de chefs-d’œuvre. Toutefois, l’année précise de 1678 est significative, car elle confirme la datation de la peinture centrale. Il est plausible d’envisager que Chalette, pour la réalisation de sa peinture, a tenu compte de celle du centre, déjà en place, car les proportions des personnages sont similaires. Le décor se veut également sobre, et la source lumineuse semble émaner de la peinture voisine.

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La Communion de Pierre et des Apôtres, par Jules-Elie Delaunay (1877)

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Chalette avait très probablement reçu également la commande du tableau de gauche, mettant en scène Pierre patron de l’église, mais au bout de 200 ans celui-ci fut jugé non restaurable. Il fut remplacé en 1878 par la copie d’une œuvre conçue à Rome, à la Villa Médicis, par le peintre nantais Jules-Elie Delaunay et terminée en 1861. Pierre est mis en avant avec une certaine rudesse, mais il communie sur la bouche selon l’usage du XIXe siècle. Ce tableau fut jugé trop réaliste pour entrer à la cathédrale de Nantes et le peintre dut en faire une version édulcorée en 1862. La copie de Retiers, probablement du peintre lui-même, tranche avec les deux autres tableaux par son style et les proportions des personnages, mais elle introduit bien les vitraux arrivés dix ans plus tard.

Les vitraux par Georges-Claudius Lavergne

Entre 1888 et 1898, l’église a été enrichie de douze vitraux, tous conçus par Georges-Claudius Lavergne (1847-1923). Ces vitraux racontent des récits fascinants, qui évoquent à la fois les prestigieux ateliers parisiens de la famille Lavergne et la vie paroissiale à la fin du XIXe siècle.

Lorsqu’il reçoit la commande des quatre premiers vitraux à l’été 1887, Georges-Claudius Lavergne traverse une période difficile. Son père Claudius (1815-1887), disciple talentueux d’Ingres, avait établi à Paris l’un des ateliers de vitraux les plus renommés de France et avait associé ses trois fils à l’entreprise à partir de 1881. Cependant, accablé par le décès de sa femme Julie en 1885, il perd sa capacité à diriger l’atelier (il décédera le 31 décembre 1887). Georges, l’aîné de la fratrie, s’attendait à prendre sa succession, mais il se retrouve en minorité face à ses deux frères cadets, Noël et Joseph. En mai 1886, il quitte l’entreprise familiale et fonde son propre atelier, mais il ne peut réutiliser les cartons créés par son père qui avaient contribué au succès de l’atelier Lavergne. À Retiers, il s’efforcera de prouver sa supériorité.

Cette quête de perfection, tant dans le contenu que dans la réalisation, se reflète particulièrement dans les deux vitraux du chœur (1888-1889). Georges Lavergne se vantait d’exécuter lui-même les vitraux. Tout comme son père, il n’accordait que peu d’intérêt aux vitraux archéologiques, préférant les grandes compositions incitant à la dévotion. Dans ces œuvres, ces compositions sont encadrées par des éléments de style Renaissance, comportant des extraits bibliques représentés sur les cabochons ou imitant le faux marbre.

Les deux vitraux du chœur : la Cène (1888) et Jésus et les enfants (1889)

Plus qu’une simple évocation du dernier repas de Jésus, le vitrail de la Cène est en fait tout un enseignement sur l’Eucharistie : Jean-Baptiste affiche sur son fanion les paroles du prêtre avant la communion, Moïse tient dans une jarre une réserve de manne, l’aliment du désert qui préfigure le pain du ciel.

En bas du vitrail, le texte en latin “non Moyses dedit vobis panem de coelo” signifie “Non, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel”. La suite de la citation de Jésus dans Saint-Jean Ch. 6 V 32 est: “…mais c’est mon Père qui vous donne le pain qui vient du ciel, le vrai.”

Le vitrail à la place d’honneur du choeur (côté sud) illustre un passage d’évangile où Jésus reprend ses disciples qui lors d’un enseignement croyaient bon d’écarter les enfants. La scène comporte ici un minimum de personnages : Pierre pour les disciples, une maman pour les parents ; la foule, c’est nous face à Jésus.

En fait le peintre a fait poser ses six plus jeunes enfants, son ainée portant le bébé et sa femme Adèle. Le couple aura en fait quinze enfants : plusieurs religieuses et deux prêtres dont un Dominicain qui signera la fameuse synopse Lavergne. Le garçon écarté par saint Pierre, André, succèdera à son père. On imagine la catéchèse familiale…

En bas du vitrail, le texte en latin “sinite parvulos venire ad me” signifie “laissez les petits enfants venir à moi”. La suite de la citation de Jésus dans Saint-Marc Ch.10 V.14 est “car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu”.

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